What About Her ? – Lola Frichet
Connue pour son récent « statement » dénonçant l’invisibilisation des femmes dans le milieu de la musique, Lola Frichet, bassiste du groupe de metal Pogo Car Crash Control brandit sa basse ornée de scotch sur laquelle on peut lire « More women on stage » (plus de femmes sur scène). Musicienne, autrice et compositrice, en plus des tournées, elle mène une carrière où se croisent enregistrements pour d’autres artistes, composition pour la radio ou masterclass. Principalement bassiste, elle a une formation initiale de guitare classique et joue également de la batterie. Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de Lola Frichet.
Entretien avec Lola Frichet
Lola, comment et pourquoi as-tu eu envie de devenir musicienne ?
J’ai du mal à me l’expliquer, c’est arrivé très tôt ! Vers mes 4-5 ans, j’étais obsédée par la guitare électrique donc j’ai supplié mes parents de m’en acheter une. Une fois au magasin de guitare, j’étais tellement jeune que le vendeur m’a conseillé d’apprendre d’abord la musique classique, pour ensuite pouvoir jouer ce que je voulais. J’ai donc commencé la guitare classique avec toujours cette obsession d’un jour faire de la guitare électrique. Au collège, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer une classe à horaires aménagés (CHAM), j’étais donc entourée de musicien·ne·s, ce qui a vraiment eu un impact sur mon parcours puisque que mes parents, eux, n’étaient pas du tout musicien·ne·s. A 10 ans, j’ai monté mon premier groupe mais comme les deux autres musiciens étaient aussi guitaristes, j’ai essayé la basse, depuis, je n’ai jamais arrêté et j’ai toujours eu des groupes de musique.
On est en manque de musicienne et d’amatrices […] mes amies avec qui j’ai fait mes études de musique donnent principalement des cours, elles sont devenues profs de piano ou de chant, c’est trop bien mais sans le vouloir, on reproduit
Comment tu as débuté ce métier ?
C’est un peu particulier parce qu’avec mon premier groupe, on a été repéré par un label et signé avec eux quand j’avais 12 ans. A 15 ans, on m’a dit « tu vas enregistrer un album », c’était fou ! J’ai donc voyagé, eu l’opportunité d’enregistrer dans les studios ICP à Bruxelles, où de nombreuses légendes du rock sont passé·e·s. Je suis donc entrée dans le monde professionnel très tôt et j’étais habituée à être entourée de tourneurs, journalistes, managers… Après le lycée, j’ai fait des études supérieures qui ne m’ont pas tellement plu, ce que je voulais, c’était faire de la musique mon métier. Par hasard à un anniversaire, j’ai rencontré une personne qui travaillait chez Universal music à qui je me suis présentée. Cette personne essayait, à ce moment-là, de signer Pogo Car Crash Control. Il m’a fait écouter et je me souviens avoir trouvé ça super. Un mois plus tard, il m’a appelé pour me proposer de rejoindre le groupe à la basse et quelques jours plus tard, je signais avec eux.
Est-ce que dans ton parcours, tu as été confrontée à des freins ou au contraire, des coups de pouces ?
Les deux ! Je suis plutôt positive comme personne donc je retiens plutôt les coups de pouces mais bien sûr qu’il y a eu des freins : du sexisme, beaucoup et encore aujourd’hui. En plus, j’ai commencé jeune donc je n’ai jamais été prise au sérieux. Aujourd’hui, je me demande si c’était parce que j’étais jeune ou parce que j’étais une femme. On m’a souvent expliqué le fonctionnement de mon instrument, essayé de m’apprendre à jouer… c’est très pénible mais maintenant, je suis super cash avec ceux qui s’y aventurent, je leur dis « m’explique rien mec, je joue mieux que toi ». Bien sûr, je reçois aussi des messages de personnes qui me font des remarques sur ma façon de jouer… Quand Pogo Car Crash Control a commencé à avoir du succès, j’ai demandé aux garçons du groupe de garder un œil sur moi notamment lorsqu’on est au contact direct du public comme au merchandising à la fin des concerts. Il m’est arrivé qu’un homme veuille essayer de m’embrasser par exemple. J’entends souvent « le rock c’est une grande famille, tout le monde est sympa » mais les salles de concerts, ce sont aussi des endroits alcoolisés, il faut faire attention. Mais j’ai surtout beaucoup de bons moments qui sont là pour engloutir le reste.
Si t’es curieuse, que tu sais saisir les opportunités, que tu te fais confiance et que tu es prête à bosser, il peut arriver plein de choses !
Peux-tu nous expliquer qu’est-ce que c’est « More women on stage » et comment ça a fait irruption dans ta carrière ?
« More women on stage », à la base c’est un petit slogan que j’avais en tête depuis 3 ans, je voulais en faire des stickers parce que je suis une fan de stickers. Avec Pogo Car Crash Control, on a de longues tournées, donc je m’étais dit que je pourrais en coller anonymement dans chaque salle de concert et backstage, loges où j’irais, tous ces endroits où tu te retrouves un peu seul·e, où tu réalises ce qui se passe. En tant que femme dans ce milieu, qui plus est dans le metal, je suis souvent seule dans les loges et je me suis dit que si je croisais un sticker comme celui-ci, ça me mettrait du baume au cœur. Avec la libération de la parole, #Metoo et la crise sanitaire, ce projet a changé, je me suis dit qu’il n’y avait plus de temps à perdre, qu’on méritait mieux. Un soir en festival, j’étais encore une fois la seule femme programmée donc j’ai décidé d’écrire ce message derrière ma basse, juste avant le concert. La scène rock a une belle visibilité en France et avec la reprise des concerts, ce moment a été filmé et beaucoup repris par d’autres musicien·ne·s sur leurs instruments. A ce moment-là, j’ai décidé de relancer l’idée des stickers pour que les gens se saisissent de ce message, le collent partout, dans toutes les toilettes de toutes les villes. Donc tous les matins, j’envoie 2 ou 3 lettres de stickers dans toute la France, et je fais ça avec grand plaisir parce que je vois les gens qui ont pris le relai, qui l’ont écrit sur leur violon, leur lyre ! Sur une lyre, c’est incroyable !
Après cet engouement, avec des ami·e·s, on a décidé de se constituer en association pour organiser des événements. Au mois de juin 2022, on a organisé un petit festival à Paris sur 2 jours, où non seulement des musiciennes étaient sur scène, mais où la question de la professionnalisation était au centre. Personnellement, quand je suis passée du côté « professionnel », il y a beaucoup de choses qu’on ne m’a pas expliqué et qui sont importantes à savoir. Par exemple, on se fait tou·te·s avoir sur nos cachets en début de carrière, parce que personne ne nous explique les règles du secteur. Par le biais de ces ateliers, j’aimerais que des musiciennes en local puissent aider et donner des conseils à d’autres musiciennes. J’aimerais que ces masterclass se déroulent un peu partout en France. Par exemple, dernièrement, il y a des étudiant·e·s qui nous ont contactés dans le cadre d’une soirée, ils n’avaient pas du tout de sous mais nous non plus, mais on va quand même essayer de se rencontrer, l’objectif c’est d’exister.
Enfin, le dernier volet de ce projet c’est la création de merchandising. Les équipes techniques doivent souvent être en noir pour ne pas être vus sur la scène or ça participe à invisibiliser ces métiers et notamment les femmes qui l’exercent. C’est pourquoi on a eu cette idée de créer des tee-shirt « More women backstage » qui sont orientés vers les techniciennes et régisseuses mais qui sont accessibles à tou·te·s évidemment. J’évolue dans le monde du rock donc je sais que les tee-shirts participent au rayonnement des groupes donc ça nous semblait intéressant de sensibiliser le public à ces enjeux par ce biais-là. On évoque souvent le nombre de femmes sur scène mais lors d’une tournée, si l’équipe technique est féminine, c’est pas anodin et pourtant ça reste invisible aux yeux du public. Ce merchandising permettra de soutenir des projets de plus long terme, j’aimerais qu’on puisse suivre des musiciennes de façon régulière parce qu’en musique, le progrès passe aussi par la régularité.
Quels sont les effets visibles de « More women on stage », pour toi ?
Les premiers retours, c’est des filles qui viennent me voir, les yeux pétillants pour me remercier et évidemment, il n’y a pas de meilleur retour pour moi. Certaines se sont motivées à chercher d’autres musiciennes pour créer des groupes et moi j’essaye de suivre ces petites initiatives embryonnaires et de les motiver. Et puis il y a cet engouement avec les stickers qui voyagent jusqu’à des petits festivals dans la Drôme.
Qu’est-ce que tu aimes le plus et le moins dans ton métier ?
Ce que j’aime le plus, c’est les concerts, être sur scène. L’adrénaline, la cohésion de groupe, les rencontres, ça donne confiance. Ce que j’aime le moins, c’est la partie administrative : quand on décide d’être indépendante, c’est beaucoup de travail. C’est utile de connaître le fonctionnement interne de ce milieu, mais c’est chronophage.
Est-ce que tu as des inspirations ou modèles de femmes que tu voudrais partager ?
Je n’ai pas trop avancé avec des modèles, petite, mais depuis j’ai découvert plein de bassistes comme Carole Kaye. C’est une bassiste des années 1970 qui a enregistré sur tous les plus grands tubes de Motown. Elle est encore vivante aujourd’hui, elle a un style incroyable et c’est une légende alors que personne ne sait qui c’est ! Ce sont ces femmes qui mériteraient plus de considération et de visibilité.
Et si tu avais un conseil à donner aux femmes de ce milieu, lequel ce serait ?
Même si t’es pas totalement prête, tu peux te lancer. C’est ok de foirer, de se planter mais finalement quand on veut bien faire et qu’on y met du cœur et du travail, on se plante rarement. Si t’es pas vraiment la bonne personne, tu peux le devenir.
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