What About Her ? – Elise Tremeau
Dès ses premiers festivals, Elise Tremeau ne se contentait pas d’apprĂ©cier les concerts ; son attention Ă©tait captĂ©e par les changements de plateaux et les mouvements des Ă©quipes techniques. Au lycĂ©e, c’était davantage les câbles et l’installation des micros qui l’intĂ©ressaient quand ses potes rĂ©pĂ©taient. Cette curiositĂ© innĂ©e et cet appĂ©tit pour les aspects souvent mĂ©connus des spectacles et les mĂ©tiers dits de l’ombre, ne l’ont jamais vraiment quittĂ©e ! Depuis deux ans, rĂ©gisseuse gĂ©nĂ©rale de la scène de musiques actuelles, le Grand Mix Ă Tourcoing, Elise nous a partagĂ© les Ă©tapes de son parcours et ce qui l’anime fortement sur cette fonction de « rĂ©gie G ».
Direction les Hauts-de-France, et plus précisément dans la ville de Tourcoing à une quinzaine de kilomètres au nord- est de Lille et à autant de kilomètres de la frontière Belge. Nous sommes à la fin des années 1990, en 1997 exactement, quand le Grand Mix voit le jour sous l’impulsion d’une volonté politique locale de proposer un équipement culturel digne de ce nom et une offre dédiée aux musiques actuelles sur son territoire. C’est un ancien foyer paroissial qui est alors transformé en scène de musiques actuelles ! 20 ans après, cette salle de 650 places s’est forgé une solide identité artistique autour des musiques indépendantes, rock bien sûr, mais aussi progressivement celles du rap et des musiques électroniques. Elle est, entre autres, fortement impliquée sur les enjeux écologiques des musiques actuelles ainsi que sur les enjeux d’égalité de genre et questionne très souvent son projet en écho d’autres réalités européennes de la musique, situation transfrontalière oblige ! 20 ans après, le Grand Mix a l’opportunité de s’agrandir via la rénovation d’un bâtiment qui jouxte la salle. La structure se dote alors d’un club de 300 places, d’un nouveau studio et d’un espace de restauration, lieu de vie, ouvert les midis.
C’est ce projet riche de questionnements sociétaux qu’Elise Trémeau a rejoint il y a deux ans, sur le poste de régisseuse générale. Et à noter, car ce n’est pas si courant dans les musiques actuelles, l’équipe technique permanente du Grand Mix est entièrement féminine. Elle est composée de deux femmes, Elise avec qui nous avons échangé plus amplement et Juliette Dupont sa collègue, régisseuse principale. Il faut dire aussi qu’elle a à sa tête une directrice !
Entretien avec Elise Tremeau
Elise, qu’est-ce qui t’a donnĂ© envie de devenir rĂ©gisseuse gĂ©nĂ©rale ?Â
Bonne question ! En fait, quand j’Ă©tais plus jeune, j’aimais aller en concert, en festival. Et dans les festivals, ce que j’aimais regarder, c’Ă©tait les changements de plateaux, les gestes des Ă©quipes techniques en fait. J’étais assez impressionnĂ©e de voir cette espèce de fourmilière qui s’agite mĂ©thodiquement entre deux groupes. Et puis assez vite, j’ai fait un peu de bĂ©nĂ©volat sur les festivals d’abord en accueil artistes, puis au bar, les missions classiques des bĂ©nĂ©voles ! Et en mĂŞme temps, c’Ă©tait quand mĂŞme toujours la mĂŞme chose qui me fascinait : observer les montages, les Ă©quipes techniques qui se relaient, chacun Ă son poste, prĂ©cis sur sa fonction. Tout ça m’intĂ©ressait et m’impressionnait mĂŞme plus que la partie artistique. C’est par ce biais-lĂ que j’ai dĂ©couvert les mĂ©tiers techniques, parce que plus petite, je n’ai pas baignĂ© dans le milieu culturel ou les concerts. C’est donc un peu sur le tard que j’ai pris conscience qu’il existait tous ces mĂ©tiers dits de l’ombre ou de l’envers du dĂ©cors.
 J’ai toujours bien aimĂ© regarder travailler les mecs en rĂ©gie, enfin les mecs ou les filles d’ailleurs ! Mais Ă l’Ă©poque c’Ă©tait beaucoup plus compliquĂ© de voir des filles derrière les consoles !
Ça a démarré réellement autour du lycée en fait, les premiers concerts dans les bars, puis les copains qui jouaient dans des groupes que j’allais voir dans des cafés-concerts. Puis après les festivals d’été. Ce qui était chouette aussi pour moi, c’était d’observer des petites équipes techniques et des très « grosses » sur les festivals, de regarder comment elles fonctionnaient selon les tailles des évènements. C’est vraiment ça qui m’intéressait, regarder les techniciens bidouiller leurs consoles, essayer de comprendre ce qu’ils faisaient, j’adorais regardais les changements de plateaux !
Comment es-tu passĂ© de cette curiositĂ© d’adolescente pour les mĂ©tiers techniques du spectacle au choix d’en faire un parcours professionnel ?Â
En fait, j’ai pas mal tergiversĂ© avant d’arriver sur cette voie. Avant d’avoir le bac, j’ai travaillĂ© un peu. J’ai arrĂŞtĂ© le lycĂ©e et j’ai travaillĂ© en restauration. Je faisais de la cuisine. Et c’est Ă ce moment-lĂ justement, qu’a commencĂ© Ă germer cette envie de rĂ©flĂ©chir plus sĂ©rieusement aux mĂ©tiers techniques du spectacle comme une possible voie professionnelle. Ça m’a poussĂ©e Ă retourner sur les bancs du lycĂ©e pour avoir le bac et pour pouvoir ensuite poursuivre mes Ă©tudes dans ce domaine-lĂ . Suite au bac, j’ai donc fait une licence de technique audiovisuelle Ă l’universitĂ© de Valenciennes, plutĂ´t orientĂ©e image d’ailleurs ! C’Ă©tait aussi le moyen abordable Ă©conomiquement d’arriver quand mĂŞme Ă mes fins et d’aller vers la technique. Dans la continuitĂ© de cette licence, j’ai poursuivi par le master « management de la communication audiovisuelle » qui dĂ©bouchait surtout sur de la production cinĂ©ma ou tĂ©lĂ©. Mais ça m’a permis quand mĂŞme d’aborder des sujets tels que les budgets, le droit du travail, la gestion des ressources humaines, des choses qui me servent aussi dans mes fonctions actuelles finalement !
Comment as-tu pu raccrocher avec le secteur des musiques actuelles ?Â
Durant cette formation, nous devions effectuer diffĂ©rents stages que j’ai fait dans le spectacle vivant via des « boĂ®tes de prestation techniques » donc parfois sur des concerts, mais plutĂ´t dans des salles gĂ©nĂ©ralistes qui programment un peu de tout. En sortant de mes Ă©tudes, j’ai tout d’abord travaillĂ© pour des studios de tournage parce que c’est ce qui Ă©tait dans mes cordes Ă ce moment-lĂ et ce que je savais faire. C’Ă©tait l’opportunitĂ© directe d’emploi par rapport Ă ma formation. Mais suite Ă ces premières expĂ©riences je suis partie travailler dans une petite salle près de Rouen qui s’appelle la Maison de l’universitĂ©. C’est une salle qui programme grosso modo deux dates par semaine, l’une de ces deux dates est souvent un concert, l’autre est davantage axĂ©e théâtre, troupes d’impro, compagnies amateures, des choses comme ça. Mais voilĂ , une fois par semaine, il y avait un concert !
Ensuite je suis repartie dans le nord pour travailler Ă la Condition Publique Ă Roubaix qui n’est pas une scène de musiques actuelles (SMAC) mais qui programme quand mĂŞme des concerts très rĂ©gulièrement. Il y a un club avec un concert tous les vendredis, il y a une grande salle oĂą l’on pouvait accueillir tant un sĂ©minaire d’entreprise que des musiques actuelles ou un festival Ă©lectro. Et c’est pendant mon poste Ă la Condition Publique que j’ai eu connaissance de l’offre d’emploi de rĂ©gisseuse gĂ©nĂ©rale du Grand Mix. LĂ je me dis, j’ai fait de la technique pour la musique, j’ai fait de la rĂ©gie principale ou gĂ©nĂ©rale pour des salles plus gĂ©nĂ©ralistes, mais ce qui me permet de raccrocher, vraiment avec les musiques actuelles, c’est quand mĂŞme de travailler dans une SMAC. Et j’ai postulĂ©Â !  Â
Enfant, tu faisais de la musique ?Â
Pas du tout ! Enfin, comme tout le monde, je pense. Adolescente, j’ai fait un peu de guitare mais jamais de cours de musique ou de solfège. Pas de pratique musicale correcte, on va dire, pas d’apprentissage de la musique Ă©tant enfant. C’est vraiment quelque chose qui est assez Ă©loignĂ© de ma famille Ă vrai dire, mĂŞme si Ă l’adolescence, avec les copains, j’ai fait un petit peu de « gratouille », de guitare, mais jamais rien de très poussĂ©. Ce qui m’intĂ©ressait vraiment plus c’était toujours l’aspect technique. Le groupe de copains qui voulait s’enregistrer pour faire une maquette et dĂ©marcher des salles pour jouer un petit peu et bien ce qui me plaisait, c’Ă©tait de sortir des micros puis de les aider Ă faire leur maquette, plus que de prendre une guitare et de jouer !Â
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Au sortir de ta pĂ©riode de formation, quand tu as commencĂ© Ă travailler dans la technique, as-tu eu l’impression d’avoir trouvĂ© ta place, d’être Ă l’endroit professionnel qui devait ĂŞtre le tien ?Â
C’est plus nuancĂ© que ça en fait, ça s’est fait progressivement en fonction de mes diffĂ©rentes expĂ©riences. Par exemple, je suis passĂ©e par des boĂ®tes de prestation, des « grosses boĂ®tes » oĂą l’on arrive le matin dans un champ, il n’y a rien, on monte tout, la scène, les ponts, les pieds de levage, la lumière, le son, on cale le système, puis quand on repart il y a de nouveau rien, juste le champ comme Ă l’arrivĂ©e, mais entre deux, il y a eu un gros concert avec des milliers de personnes ravies. Après, le travail en « boĂ®tes de presta », c’est un monde particulier il y a la longueur des journĂ©es, les conditions de travail selon les employeurs qui sont très variables aussi. Et puis au ColisĂ©e Ă Roubaix, j’ai dĂ©couvert ce cĂ´tĂ© un peu « grosse maison », « famille », habitudes de travail bien huilĂ©es. Et j’ai fait aussi quelques stages plutĂ´t en scènes nationales ou dans un studio d’enregistrement. Ces diffĂ©rentes expĂ©riences m’ont permis de me rendre compte qu’il n’y avait pas une seule façon de travailler, qu’il y avait autant de façons de faire que de lieux oĂą travailler ou encore d’employeurs. C’est aussi ça qui m’a permis d’affiner mes envies. J’ai compris que non, je n’avais pas spĂ©cialement envie de faire du mixage ni de dĂ©charger des camions toute la journĂ©e. Par contre participer Ă ce que les diffĂ©rents engrenages d’une salle, d’un concert s’articulent bien entre eux, Ă ce que tout s’enchaĂ®ne bien, que techniquement ça marche, se creuser un peu la tĂŞte pour trouver des solutions techniques, se dire « en fait en fiche technique on veut ça, mais nous ce qu’on a c’est plutĂ´t ça » et trouver les moyens que ça le fasse quand mĂŞme, ça j’en ai eu très vite envie. MĂŞme les prises de tĂŞte en termes d’horaires, ça m’intĂ©ressait. De me dire « ils veulent arriver Ă telle heure, mais après ça fait une journĂ©e trop longue, alors on va plutĂ´t leur proposer de venir la veille, etc. » des choses Ă dĂ©mĂŞler, Ă nĂ©gocier, Ă imaginer. Plus ça allait au niveau des stages et mĂŞme après dans mes premiers postes, plus je me rendais compte que c’Ă©tait cette partie du travail qui me motivait rĂ©ellement. C’Ă©tait vraiment plus la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale qui m’intĂ©ressait ! Donc non, je n’ai pas eu d’Épiphanie Ă me dire “Ah c’est ça, c’est rĂ©gisseuse gĂ©nĂ©rale que je veux ĂŞtre”, mais c’est venu plus progressivement, au fur et Ă mesure et dans mes diffĂ©rents postes. Il y a Ă©videmment des missions que tu prĂ©fères toujours Ă d’autres et il y a des sujets qui t’intĂ©ressent plus que d’autres, mais la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale, ça m’a bien plu et la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale d’un lieu, plus que la rĂ©gie de tournĂ©e.Â
Ce qui me plait et m’intĂ©resse vraiment c’est de participer Ă la vie d’un lieu, de faire partie d’une Ă©quipe. C’est quelque chose qui me correspond en fait, qui me convient bien.Â
Comment tu prĂ©senterais ta journĂ©e type le jour d’un concert au Grand Mix ?Â
Ma journĂ©e de concert type se mĂŞle complètement Ă celle des technicien·nes lumière, des technicien·nes son. Il y a la phase de la prĂ©paration avant la date de concert, il faut constituer les Ă©quipes techniques, faire leur planning, prendre contact avec la personne chargĂ©e de la production, le tourneur et/ou le tour manager du groupe. Je vais recevoir leurs infos et les besoins techniques pour le concert, je vais envoyer les infos techniques de la salle et voir comment faire matcher les deux. Parce que finalement c’est ça le plus gros du boulot quand on fait une date : c’est s’assurer que les besoins du groupe, les capacitĂ©s en matĂ©riel de la salle et en termes humains vont matcher. Je dois trouver les bonnes adaptations quand ça ne correspond pas tout Ă fait, Ă©valuer les besoins, louer du matĂ©riel si nĂ©cessaire. En fait, c’est vraiment cet aspect de prĂ©paration qui est l’essentiel de mon travail et ce qui me prend le plus de temps d’ailleurs au quotidien. Et ce n’est pas forcĂ©ment pareil ailleurs, mais au Grand Mix la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale a aussi en charge une partie des tâches de production, les conditions d’accueil artistes. La partie accueil artiste du rider (les hĂ´tels, les runs, les demandes en loges…) est aussi traitĂ©e par la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale, en plus de la partie technique bien sĂ»r ! J’établis donc les feuilles de route avec les horaires de la journĂ©e pour tout le monde, avec les informations pour les artistes mais aussi pour les intermittents qui travaillent sur la date. Je leur partage l’ensemble des informations, s’il y a une console amenĂ©e par le groupe, les besoins en backline, s’il est louĂ©, Ă quel endroit, je transmets le plan de feu, la fiche technique des groupes… Ça c’est la partie prĂ©paration, la « prĂ©p » comme on dit ! Et puis arrive le jour de la date. Le matin, j’arrive avant tout le monde, j’accueille l’Ă©quipe lumière, je leur fais un topo sur ce qu’il y a Ă faire. Parfois, je leur donne un coup de main s’il y a besoin de plus de bras ce jour-lĂ . Pendant que les rĂ©gisseurs lumière travaillent, la plupart du temps, on fait des petites missions annexes. PlutĂ´t accueil artistes, accueil public. On s’assure que le mĂ©nage est bien passĂ© aux diffĂ©rents endroits, qu’il y a bien du papier dans les toilettes. On prĂ©pare les petits bracelets. On affiche les feuilles de route avec les horaires un peu partout. Comme on essaie de rĂ©duire nos dĂ©chets, on a des petites gourdes Ă prĂ©parer. C’est un peu les « petites » missions annexes de la rĂ©gisseuse de la date. Après ça, on mange avec l’Ă©quipe lumière et puis l’Ă©quipe son arrive et lĂ , la rĂ©gisseuse gĂ©nĂ©rale devient rĂ©gisseuse plateau au Grand Mix, comme dans pas mal de salles, il me semble ! Je prĂ©pare le petit matĂ©riel son, le patch, les pieds de micro, les câbles, on fait le patch, on se met d’accord avec les technicien·nes son du jour sur « qui fait quoi », comment on va opĂ©rer le changement de plateau. Est-ce que c’est un patch commun ? Est-ce qu’il y a des risers Ă faire ? A quelle hauteur il faut monter dans le pratos ? On prĂ©pare notre plateau et après on rechange quelquefois de casquette dans l’après-midi. ForcĂ©ment, on va faire l’accueil du groupe donc je les fais monter en loge, leur explique comment ça fonctionne pour le catering, les repas. Et puis on bascule de nouveau sur du plateau quand le groupe s’y installe. Pendant la balance du groupe, souvent, c’est la première partie ou le groupe support qui arrive. On organise ensuite le changement de plateau, on refait le mĂŞme petit topo pour le support, on le guide dans le bâtiment, on vĂ©rifie que tout le monde a les bons horaires, etc. Sur l’après-midi notre boulot, c’est un mix entre rĂ©gie plateau et rĂ©gie gĂ©nĂ©rale. Parfois, il y a beaucoup de travail au plateau et pas grand-chose Ă faire en accueil. Parfois c’est plutĂ´t l’inverse. On peut avoir des tour managers qui nous demandent Ă©normĂ©ment de choses. Il faut rĂ©gler les petites demandes de dernière minute : « Je t’ai pas dit ? On a un rĂ©gime alimentaire particulier. Ha mince, j’ai oubliĂ© mes baguettes, … », c’est notre boulot Ă ce moment-lĂ , de rĂ©pondre aux demandes en rĂ©gie. Après ça, on va manger et les portes s’ouvrent ! On va chercher les groupes en loge, on fait monter les groupes Ă l’heure, puis on opère le changement de plateau. Et puis voilĂ , fin de concert, on fait le dĂ©montage avec l’Ă©quipe technique. On a toujours un petit Ĺ“il sur la montre, voir si on est dans les temps, on presse un peu le groupe pour dĂ©monter, pour que le plateau soit libĂ©rĂ© afin que la lumière puisse faire aussi son dĂ©montage, etc. C’est un peu comme dans l’après-midi, on essaie de tenir le timing ! On est toujours en lien aussi avec le chef soirĂ©e et le coordinateur sĂ©curitĂ©. En cas de pĂ©pin quelconque, on participe aussi au dispositif de sĂ©curitĂ©. Fin de soirĂ©e, on finit le dĂ©montage, on aide Ă recharger le groupe et le lendemain on recommence !
On ne connaît pas la vie des gens, mais quand ils et elles viennent au concert et repartent ravi·es, je trouve ça chouette, un concert ça peut être un moment important dans ta vie !
Tu as d’autres missions sur ton poste au-delà de la partie régie concert que tu viens de nous décrire ?
Oui il y a aussi la partie bâtiment, sĂ©curitĂ©, vĂ©rification des installations. C’est moi la personne ressource pour l’Ă©quipe quand il y a quelque chose Ă signaler, Ă rĂ©parer. Je vais gĂ©rer la maintenance gĂ©nĂ©rale, la maintenance technique, la maintenance scĂ©nique et la maintenance bâtimentaire. C’est changer une ampoule, rĂ©parer une chasse d’eau, faire rĂ©parer le chauffage qui ne marche plus, trouver la bonne solution, appeler le prestataire, le relancer, commander la pièce qui va bien, etc…Â
Qu’est-ce qui t’enthousiasme particulièrement dans ton mĂ©tier ?Â
Ça peut sembler bizarre, mais j’aime bien quand il y a des imprĂ©vus, pas trop bien sĂ»r, mais j’aime bien quand il y a des petits couacs, des situations Ă rĂ©gler dans la journĂ©e, qu’on court un petit peu. Mais attention, j’aime bien aussi quand tout se passe comme prĂ©vu, mais je trouve ça gratifiant quand durant la journĂ©e on arrive Ă dĂ©patouiller des petits problèmes, des petites choses et qu’au final, le soir c’est rĂ©glĂ©, rien n’est perceptible ! Tout le monde passe une super soirĂ©e, ça joue. Ă€ la limite, on dĂ©passe le timing, mais parce que le groupe a dĂ©cidĂ© de faire un long rappel et tout le monde est content. Et Ă la fin, le public s’en va ravi. Le groupe s’en va heureux aussi. En fait, c’est ça qui me plaĂ®t. Le fait de participer Ă ce que tout le monde passe une bonne soirĂ©e ! C’est quand mĂŞme un boulot sympa ! On a cette grande chance que personne ne joue sa vie grosso modo quand mĂŞme, et le public vient dans le but de passer un bon moment. Donc, quand on remplit cette mission-lĂ , le groupe a bien jouĂ©, dans des bonnes conditions parce qu’on l’a accueilli correctement, le public repart avec sa dose de bonne humeur, c’est ça qui est important pour moi !
Si en fin de soirĂ©e je peux me dire ok on a eu quelques urgences ou pĂ©pins Ă rĂ©gler dans la journĂ©e. Et puis finalement la soirĂ©e s’est super bien passĂ© et tout le monde est trop content et bien je trouve ça gratifiant !
Par tes fonctions au Grand Mix, tu encadres essentiellement des hommes ? Comment vis-tu ce lien hiĂ©rarchique ? Comment tu habites cette partie de ta fonction ? Â
Au Grand Mix c’est un peu particulier parce qu’il y a un noyau d’intermittents qui vient rĂ©gulièrement et depuis très longtemps. Ce sont des personnes qui connaissent le Grand Mix comme leur poche et qui techniquement, sont très bonnes. Donc moi en prenant mes fonctions au Grand Mix, je suis restĂ©e assez humble par rapport à ça, aussi parce que je suis assez jeune, peu d’expĂ©rience en rĂ©gie gĂ©nĂ©rale et pas d’expĂ©rience en SMAC. J’ai pris le truc avec humilitĂ© et je me suis positionnĂ©e avec eux comme quelqu’un d’apprenant. A la fois, c’Ă©tait vraiment gĂ©nial parce que c’est un grand confort, j’avais l’impression d’avoir un parachute. C’Ă©tait super d’avoir ces personnes-lĂ qui connaissent extrĂŞmement bien la maison, extrĂŞmement bien leur mĂ©tier et aussi les us et coutumes du monde des musiques actuelles. Ces personnes font de la tournĂ©e par ailleurs. Je suis super reconnaissante de ça. Et, outre ce « noyau dur » d’intermittents habitué·es qui sont en fait une petite dizaine, sept ou huit, et qui viennent très rĂ©gulièrement, il y a toute une Ă©quipe un peu plus importante d’intermittents qu’on appelle rĂ©gulièrement, qui viennent grossir les rangs quand nos habituĂ©s sont parfois en tournĂ©e avec des groupes, etc. Donc on vient les remplacer ponctuellement par d’autres, qui sont en rĂ©gion Ă©galement, et qui travaillent très bien aussi ! Mon rapport Ă ces Ă©quipes d’intermittents, franchement il est assez horizontal Ă vrai dire. Oui il y a un lien hiĂ©rarchique, de fait c’est moi qui constitue les Ă©quipes, qui leur donne les consignes, ce qu’il y a Ă faire et Ă quelle heure ils doivent avoir terminĂ©, etc. Mais en mĂŞme temps, je considère qu’on a des missions diffĂ©rentes et que je ne suis pas juste leur cheffe. C’est un peu diffĂ©rent avec ma collègue Juliette qui est rĂ©gisseuse principale et permanente de la structure. De fait, je suis sa supĂ©rieure hiĂ©rarchique, mais au quotidien nous sommes sur un partage des tâches, des dates. Comme avec les intermittents, la relation professionnelle est davantage horizontale. Ils savent très bien ce qu’ils ont Ă faire, mais je prends quand mĂŞme Ă cĹ“ur d’animer cette Ă©quipe et de les intĂ©grer le plus possible Ă l’Ă©quipe permanente du Grand Mix, de les faire participer aux choix techniques que je fais, leur avis est super prĂ©cieux ! Je ne ressens pas un lien hiĂ©rarchique Ă proprement parler, on n’a pas les mĂŞmes missions, on se complète !Â
Tu parles des intermittents au masculin, ce sont majoritairement des hommes ?
Oui très majoritairement des hommes. Ă€ vrai dire, c’est assez rare qu’on embauche des intermittentes. Avant mon arrivĂ©e au Grand Mix, l’équipe d’intermittents rĂ©guliers Ă©tait composĂ©e d’hommes. Ils font Ă peu près 4 dates sur 5 au Grand Mix. Il y a donc peu de latitude pour embaucher d’autres personnes. Il y a aussi ceux qui historiquement travaillent rĂ©gulièrement au Grand Mix et qui me sont prĂ©cieux, que je ne veux pas perdre parce qu’ils sont autonomes sur l’Ă©quipement. En fait, c’est un peu une question de facilitĂ© pour moi, Ă©videmment ! Ils savent comment fonctionne les consoles, les amplis, le câblage entre les 2, les us et coutumes de la salle, les horaires, … Alors oui, c’est plus facile pour moi d’appeler ces personnes, et oui ce sont des hommes ! En tout, entre “l’Ă©quipe A” (les intermittents les plus rĂ©guliers) et “l’Ă©quipe B” (les intermittents qui viennent en renfort, un peu moins souvent), c’est une trentaine de personnes et très majoritairement des hommes. Par ailleurs, j’ai quelques contacts de femmes qui travaillent ici en rĂ©gion et qui travaillent bien ! Le mĂ©tier de ces femmes, c’est plutĂ´t techniciennes plateau. Mais technicienne plateau, c’est le poste qu’on occupe, Juliette et moi, sur les dates, en plus de la rĂ©gie… c’est donc un besoin que nous n’avons pas au Grand Mix, en termes d’embauche complĂ©mentaire. De temps en temps, on a un besoin ponctuel sur une date oĂą on va avoir par exemple 4 groupes qui s’enchaĂ®nent, on sait que sur cette date-lĂ , on ne pourra pas assurer le plateau et l’accueil-rĂ©gie. Dans ce cas-lĂ on embauche au plateau et si on a de la chance, une technicienne disponible ce jour-lĂ Â !
Il y a 10 ou 15 ans le peu de demandes de stage de jeunes filles et de jeune femmes qu’on recevait, c’Ă©tait plutĂ´t cĂ´tĂ© prod ou cĂ´tĂ© lumière. En son c’Ă©tait rare, très rare. Mais, ça Ă©volue !Â
En dehors des personnes qui sont dĂ©jĂ dans le circuit professionnel de la technique, est-ce que tu accueilles et accompagnes des personnes et notamment des jeunes femmes, qui souhaitent dĂ©couvrir ces mĂ©tiers, s’y insĂ©rer ?Â
Quand j’Ă©tais Ă©tudiante, il y a 10-15 ans, quand il y avait des stagiaires en mĂŞme temps que moi, c’Ă©tait quasiment toujours des garçons. Ça ne m’est jamais arrivĂ©e d’ĂŞtre stagiaire en mĂŞme temps qu’une autre femme stagiaire. Après, dans mes premiers postes, je recevais surtout des CV de garçons qui demandaient des stages ou des alternances et quelques filles très peu, mais quelques filles quand mĂŞme. Au Grand Mix, la porte est assez ouverte aux stagiaires. C’est quelque chose que Juliette et moi, Ă titre personnel, on dĂ©fend. On ouvre volontiers cette porte, quand la pĂ©riode s’y prĂŞte Ă©videmment ! En stage de dĂ©couverte pour les Ă©lèves en classe de troisième par exemple, on reçoit plus de demandes de filles que de garçons qui veulent faire de la technique ou du son. Chose qui Ă©tait plus rare il y a 10 ans ! Cette annĂ©e, on a dĂ» prendre 3 jeunes filles en stage de 3ème qui voulaient ĂŞtre ingĂ©nieures du son. C’est rĂ©gulier maintenant. Par contre pour les stages plus longs de 2 ou 3 mois, de BTS technique du son ou de cursus similaires, les demandes d’alternance en son, là ça reste encore très majoritairement des garçons. Mais c’est important et essentiel de laisser les portes ouvertes aux plus jeunes, dès la dĂ©couverte d’un environnement professionnel, de participer Ă une possible fĂ©minisation des mĂ©tiers techniques par ce biais. C’est lĂ que ça se joue aussi ! Dans la rĂ©gion, les techniciennes, dĂ©jĂ intermittentes, n’ont pas besoin du Grand Mix pour travailler. Elles travaillent, leur rĂ©seau, leur rĂ©putation est faite, les structures savent qu’elles travaillent comme n’importe quel intermittent, voire mĂŞme mieux et plus, puisqu’il y a un mouvement de soutien Ă la fĂ©minisation des Ă©quipes techniques qu’on observe en ce moment. Par contre, le dĂ©fi pour les plus jeunes, c’est qu’il faut crĂ©er de la vocation pour qu’elles aient envie de mettre les mains dans les consoles, et ne pas faire non plus que du plateau, qu’elles se sentent lĂ©gitimes Ă faire un calage système et/ou Ă faire des Ă©tudes poussĂ©es pour devenir ingĂ©nieure système, par exemple. On se sent plus utile Ă prendre des stagiaires de 3ème, Ă leur parler de ces mĂ©tiers et peut-ĂŞtre contribuer Ă les dĂ©complexer aussi, parce qu’il y a plein de mĂ©tiers dont elles n’ont pas forcĂ©ment entendu parler, qu’elles n’imaginent mĂŞme pas ! Nous avons Ă cĹ“ur nous d’ouvrir ce champ des possibles, d’y participer !
On a à cœur de modifier la perception des métiers techniques chez les jeunes filles, les jeunes femmes, de leur donner envie de continuer, de se former, de ne pas lâcher le son. C’est à cet endroit qu’on se sent utiles, qu’on voit notre impact.
Cette annĂ©e en stage long, c’est une jeune femme qu’on a choisie. Nous ne l’avons pas recrutĂ©e dans l’optique, forcĂ©ment, de prendre une fille, en fait, on a publiĂ© notre annonce, on a reçu des candidat·es, des filles et des garçons et il se trouve que le profil qui nous a le plus intĂ©ressĂ© et qui nous a semblĂ© le plus cohĂ©rent par rapport Ă notre fonctionnement, c’était celui de cette jeune femme. D’ailleurs, pour cette proposition de stage long, nous avons reçu plus de candidatures de jeunes femmes que de jeunes hommes, certainement parce qu’on proposait sur un mĂŞme poste, une partie prod et une partie technique ! Â
Et dans la relation avec l’environnement des groupes qui viennent jouer au Grand Mix, le fait que sois une femme régisseuse générale de cette salle, comment cela est perçu ?
Dans mes premiers boulots en rĂ©gie gĂ©nĂ©rale, j’Ă©tais quand mĂŞme assez jeune, et donc je cumulais femme et jeune. C’Ă©tait parfois difficile et difficilement admis. En termes de posture, il fallait que j’y aille parfois au forcing pour qu’en face, on comprenne que c’était moi qui avais la responsabilitĂ© de certaines dĂ©cisions et que non, je n’avais pas besoin d’appeler mon collègue de dix ans de plus, qui Ă©tait un homme parce que ça semblait naturel que ce soit lui qui valide, qui dĂ©cide. Mais ça Ă©volue, tant pour moi que plus globalement ! DĂ©sormais on accueille plein de femmes tour manageuses, qui ont un âge similaire au mien, voire plus jeunes ! Et en fait, c’est OK, c’est admis pour tout le monde. Ça ne rentre plus tellement en ligne de compte maintenant dans mes accueils, j’ai l’impression que femme ou homme, les gens se comportent pareil avec moi ! Et moi de la mĂŞme façon, avec les personnes que j’accueille. Quand je travaillais Ă Rouen ou Ă la Condition Publique, on voyait plus d’hommes accompagner les groupes. Maintenant, je vois facilement des femmes, mĂŞme très frĂ©quemment des femmes qui accompagnent les groupes. J’ai l’impression que ça a bougĂ©, peut-ĂŞtre sur les cinq dernières annĂ©es. Avant, dès le moment de la prĂ©paration du concert, j’avais surtout affaire Ă des hommes. C’était vrai aussi en théâtre.Â
Mais il y a aussi une question de gĂ©nĂ©ration. On se rend compte parfois que certains sont encore un peu Ă l’ancienne dans leur façon de rĂ©flĂ©chir, quand les personnes en prod, en tour manageur sont plus âgĂ©es, on voit que certains n’ ont pas fait la bascule en mĂŞme temps que tout le monde !
Le tour manageur est une tour manageuse, ça c’est beaucoup plus courant maintenant !Â
Dans l’idĂ©al, comment imagines-tu ton futur professionnel ?Â
DĂ©jĂ je me vois bien rester au Grand Mix quelques annĂ©es encore ! Je trouve que c’est un endroit oĂą il fait bon travailler et je suis assez attachĂ©e au projet, assez convaincue de comment on travaille ici, avec ce que ça implique au niveau social, en termes d’accompagnement des personnes, avec cette conscience des enjeux sociaux qui traversent les musiques actuelles, l’égalitĂ© femmes-hommes, les enjeux Ă©cologiques….
J’ai bien conscience qu’on n’est plus dans une pĂ©riode oĂą on fait toute sa carrière au mĂŞme endroit, mais lĂ , de suite, ce que j’aimerais c’est Ă©voluer au sein du Grand Mix. Me conforter dans des choses que j’ai apprises un peu sur le tas. Et plus tard, pourquoi pas envisager un poste similaire dans d’autres endroits, peut-ĂŞtre Ă d’autres Ă©chelles. Et encore, je ne suis mĂŞme pas sĂ»re parce que j’aime la taille humaine du Grand Mix, j’apprĂ©cie aussi la jauge de public, la façon de travailler, la taille de l’Ă©quipe aussi. Pour l’instant, dans les quelques annĂ©es Ă venir, mon avenir, je le vois bien au Grand Mix !
Quels conseils donnerais-tu à une jeune femme qui souhaite devenir régisseuse général ?
Et bien je lui conseillerais de se faire confiance et d’oser prendre le job. DĂ©jĂ parce qu’il y a, je trouve, un peu d’autocensure parfois. Il y a beaucoup de femmes qui se sentent lĂ©gitimes Ă faire de la production mais pas de la rĂ©gie alors que les compĂ©tences techniques, elles s’acquièrent, ça s’apprend. Il existe des formations, comme pour tous les mĂ©tiers. Il s’agit de ne pas s’autocensurer, parce que l’humilitĂ© c’est bien, mais il ne faut pas que ça tĂ©tanise, que ça freine. Parfois tu peux aussi t’enfermer dans une posture oĂą tu te dis que les autres sont meilleurs que toi, ou que les hommes sont meilleurs que toi sur certaines choses alors que pas du tout en fait. Si tu te sens moins bon que quelqu’un pour faire quelque chose et bien tu peux apprendre.
C’est peut-ĂŞtre juste ça, oser prendre le job en fait, et pas attendre qu’on te valide.
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