What About Her ? – Emmeline Cadio
Emmeline Cadio, est rĂ©gisseuse principale de la toute rĂ©cente scĂšne de musiques actuelles de lâagglomĂ©ration lorientaise, Hydrophone. Elle nous partage son cheminement entre Lyon et la Bretagne pour arriver jusquâĂ la rĂ©gie, une fonction quâelle incarne par vocation, par envie de crĂ©er les conditions dâun lien rĂ©el et heureux entre les artistes, les Ă©quipes techniques et le lieu, mĂȘme si ce nâest que le temps dâun concert.
Hydrophone est officiellement apparu dans le paysage breton des salles de concert en mars 2019, issu de la rĂ©habilitation dâun ancien blockhaus de la base sous-marine de Lorient. Devenu aujourdâhui « Lorient la Base », ce quartier de lâagglomĂ©ration lorientaise en bord de rade, mixe une citĂ© de la voile, un pĂŽle de course au large, divers lieux de pratiques sportives et dâhistoire avec entre autres le sous-marin Flore et son musĂ©e, mais aussi et surtout pour ce qui nous intĂ©resse plus particuliĂšrement, Hydrophone, ce lieu dĂ©diĂ© aux musiques actuelles, digne hĂ©ritier du ManĂšge et des Studios animĂ©s depuis presque 30 ans par lâassociation MAPL, Musiques dâAujourdâhui au Pays de Lorient.
Entretien avec Emmeline Cadio
Emmeline, peux-tu nous partager ce qui tâa donnĂ© envie dâĂȘtre rĂ©gisseuse ?Â
Lâenvie de la rĂ©gie est venue comme pour beaucoup de personnes, je pense, avec la petite asso crĂ©Ă©e avec des copains, copines dâĂ©tudes avec qui nous organisions des concerts, pour moi ça se passait Ă Lyon. On proposait surtout des soirĂ©es hip-hop et Ă©lectro. Câest au cours de ces concerts-lĂ que jâai dĂ©couvert ce quâĂ©tait la rĂ©gie ; jâai compris que ça existait, jây ai dâailleurs pris goĂ»t ! Un an aprĂšs je rentrais en formation de rĂ©gie au GRIM-Edif Ă Lyon.
Par mon environnement familial, jâai grandi dans une forme de culture. Ma mĂšre a toujours fait du thĂ©Ăątre en amateur, mon frĂšre est devenu comĂ©dien professionnel. Jâai passĂ© toute mon adolescence dans tous les festivals de Bretagne Ă la recherche de cet Ă©tat dâesprit singulier quâon retrouve sur ce type dâĂ©vĂšnement oĂč tu rencontres 40 personnes dans la soirĂ©e avec qui tu tisses des liens pour longtemps, et tout ça sans Ă©couter rĂ©ellement les concerts ! Mais je nâai jamais jouĂ© dâun quelconque instrument !
En fait aprĂšs le bac, durant la saison estivale, jâai rencontrĂ© un groupe de Lyonnaises qui sont devenues des amies. Ce sont elles qui mâont parlĂ© des mĂ©tiers de la culture que je ne connaissais pas Ă lâĂ©poque, quâon nâimagine pas en tant que festivaliĂšre et ce nâest pas Ă lâĂ©cole quâon nous prĂ©sente ces mĂ©tiers-lĂ , câest vraiment dommage !
Aussi, aprĂšs une formation gĂ©nĂ©raliste dans la culture, mon entrĂ©e dans ce secteur a commencĂ© par la communication ensuite par la production, mais je nâai pas trouvĂ© de rĂ©el Ă©panouissement professionnel via ces deux mĂ©tiers. Ce nâĂ©tait pas rĂ©ellement fait pour moi-mĂȘme, mĂȘme si je continuais dâapprĂ©cier lâenvironnement culturel et surtout les concerts. AprĂšs ma formation au GRIM, mon insertion professionnelle dans la rĂ©gie sâest en fait passĂ©e trĂšs vite ! Jâai fait mon premier stage Ă lâEchonova Ă Vannes, structure que je ne connaissais pas vu quâelle Ă©tait sortie de terre alors que jâavais quittĂ© ma Bretagne dâorigine, mais je connaissais le ManĂšge et les IndisciplinĂ©es Ă Lorient, que jâai contactĂ©s. De rebond en rebond je suis arrivĂ©e Ă lâEchonova. Ăa sâest fait assez facilement avec lâEchonova qui avait Ă©galement des besoins en appui rĂ©gie sur leur festival RĂȘveries modernes qui avait lieu en septembre Ă lâĂ©poque et leur dĂ©marrage de saison en octobre, ce qui coĂŻncidait aussi avec ma pĂ©riode de stage un peu atypique par rapport Ă la saisonnalitĂ© des festivals ou des besoins sur les lieux.
En fait, trois jours aprĂšs le dĂ©but de mon stage, je me suis retrouvĂ©e avec Benjamin Bruneau, Ă lâĂ©poque technicien polyvalent de la salle. Benjamin a trĂšs vite pris les fonctions de rĂ©gisseur de la structure et pour moi ces deux mois de stage ont Ă©tĂ© hyper formateurs en apprentissage, en autonomie. Je me suis formĂ©e assez vite et jâai pu dĂ©couvrir rĂ©ellement ce quâĂ©tait la rĂ©gie dans un climat de confiance oĂč jâai rapidement assumĂ© seule des rĂ©gies.
Je suis ensuite rentrĂ©e Ă Lyon pour valider mon diplĂŽme. Jâai fait quelques plans de run sur le festival des Nuits de FourviĂšre, les places en rĂ©gie Ă©tant trĂšs prisĂ©es, voire inaccessibles. Puis jâai Ă©tĂ© rappelĂ©e en Bretagne, pour un remplacement Ă lâEchonova de septembre 2017 Ă avril 2018 pour ĂȘtre rĂ©gisseuse, Benjamin Bruneau ayant repris les fonctions de direction technique. Septembre 2019 un poste de rĂ©gisseuse principale se crĂ©e Ă Hydrophone qui vient de voir le jour ! Câest le dĂ©but de mon parcours professionnel pleinement dĂ©diĂ© Ă la rĂ©gie au sein de cette structure.
Mon mĂ©tier câest de permettre que tout se passe au mieux, entre tout le monde, sur le plan humain dâabord, mais aussi sur le plan technique
Quelle est la réalité de ton métier de régisseuse principale ?
Ce que jâaime particuliĂšrement, câest accueillir les personnes, les groupes, aspect positif du mĂ©tier que jâavais dâailleurs dĂ©jĂ rencontrĂ© avec les relations presse quand je faisais de la communication et câest cela que je retrouve en rĂ©gie. De plus, les interlocuteur·rice·s en technique sont des interlocuteurs que je trouve plus faciles, plus francs dans des relations simples et directes ce que jâapprĂ©cie pleinement.
Je passe vraiment beaucoup, beaucoup de temps au tĂ©lĂ©phone. Câest ma maniĂšre de travailler, celle qui mâa Ă©tĂ© transmise, je privilĂ©gie vraiment le contact direct avec les personnes mĂȘme si elles me parlent de leur chat, de leurs enfants, leur vie quotidienne, jâaime Ă©normĂ©ment ces Ă©changes. Ils instaurent un climat de confiance qui facilite ensuite la nĂ©gociation, la rĂ©ciprocitĂ© dans la relation, la comprĂ©hension des rĂ©alitĂ©s de chacun et le fait que le jour J tout se passe souvent trĂšs bien ! Mon quotidien câest beaucoup de bureautique en fait !
AprĂšs il y a le lien avec les Ă©quipes techniques. Nous nâavons pas de technicien·ne permanent·e pour les concerts Ă Hydrophone, nous employons des technicien·ne·s intermittent·e·s en son, lumiĂšre et au plateau pour chaque date.
Je recueille les informations concernant les besoins techniques des Ă©quipes artistiques quâon va accueillir, jâĂ©change avec elles sur les adaptations possibles en sachant quâĂ Hydrophone câest plutĂŽt facile, car vu la nouveautĂ© du bĂątiment et de ses Ă©quipements, nous sommes bien dotĂ©s tant en termes de matĂ©riel Ă disposition que dâacoustique et mĂȘme de compĂ©tences pour accueillir les groupes et les artistes.
Jâorganise les affectations, les plannings, je rĂ©dige les contrats de travail, les dossiers rĂ©capitulatifs pour chaque date avec le rappel des nĂ©gociations le cas Ă©chĂ©ant, des fiches techniques, des feuilles de patch⊠lâidĂ©e câest que le jour J, il nây ait plus quâĂ sortir les micros !
Le jour J, câest mon moment prĂ©fĂ©rĂ©, lâaccueil, la rencontre, accompagner toute cette journĂ©e jusquâau concert et mĂȘme aprĂšs. Je suis prĂ©sente dĂšs lâarrivĂ©e du groupe, des artistes, je suis lĂ pour discuter parfois faire la guide touristique, mâassurer que ça se passe bien au plateau. Notre accueil est souvent facilitĂ©, voire rĂ©ussi d’aprĂšs les retours que lâon nous fait, car nous sommes aussi dans un lieu original et dans un environnement qui Ă©tonne, la rade de Lorient, Ă cĂŽtĂ© dâun ancien sous-marinâŠ
Si besoin dâaide au plateau, jâaide sans problĂšme, mais je laisse le plus possible les technicien·ne·s dans leur propre organisation. Par contre, jâinterviens sâil y a des problĂšmes de communication entre les artistes et lâĂ©quipe technique Ă qui je demande de ne pas ĂȘtre dans le conflit avec les Ă©quipes artistiques. Câest vraiment lĂ oĂč je place mon rĂŽle, celui dâassurer ce lien, cette fluiditĂ© dans le dĂ©roulĂ© et lâorganisation de la journĂ©e.
Historiquement, ce nâĂ©tait pas une vocation dâĂȘtre rĂ©gisseur. CâĂ©tait souvent les techniciens son qui en avaient marre de faire de la tournĂ©e, qui Ă©taient fatiguĂ©s du rythme ou qui rencontraient des soucis physiques, qui petit Ă petit se sont retrouvĂ©s dans des salles de maniĂšre plus fixes. Ce sont souvent des techniciens qui sont devenus rĂ©gisseurs, aussi il y a eu une porositĂ© induite entre la technique et la rĂ©gie. Pour ma part, je nâai ni formation technique en lumiĂšre, ni en son, ma force professionnelle est sur la communication, les relations humaines, la coordination, ce sont donc ces compĂ©tences que jâexploite au quotidien dans mon mĂ©tier. De plus, Ă Hydrophone câest vraiment ce type de profil quâils recherchaient quand ils ont crĂ©Ă© le poste. Dans beaucoup dâautres salles, il y a des profils de rĂ©gisseur·se oĂč il faut aussi avoir des compĂ©tences techniques en son ou en lumiĂšre. Ce qui mâimporte dans ce mĂ©tier câest dâĂȘtre centrĂ©e sur les notions de liens, dâaccueil, dâĂ©motionnel, de gestion des Ă©quipes, de savoir comment chacun et chacune va le jour J pour anticiper aussi ce qui pourrait coincer, avoir une attention particuliĂšre sur une personne quand elle en a besoin. En fait, il y a eu parfaite congruence entre la façon dont a Ă©tĂ© imaginĂ©e ce poste Ă Hydrophone et la maniĂšre dont je veux et peux faire de la rĂ©gie.
Ma force professionnelle est sur la communication, les relations humaines, la coordination
Quels conseils donnerais-tu Ă une personne qui aurait envie de se lancer dans la rĂ©gie ?Â
Il faut ĂȘtre patient·e et sâaccrocher au dĂ©but, câest un peu la « Bernique sur son rocher » au dĂ©marrage. Je suis arrivĂ©e en poste Ă 30 ans rĂ©volus, jâai mis 10 ans Ă trouver mon rĂ©el endroit dâĂ©panouissement professionnel dans la culture, sur ces fonctions de rĂ©gie !
Il faut aimer les contacts humains. Il faut Ă la fois avoir un Ă©go et ne pas en avoir, ĂȘtre dans un juste milieu entre ĂȘtre quelquâun qui peut ĂȘtre leadeur et en mĂȘme temps savoir ĂȘtre complĂštement effacé·e ; câest presque une double personnalitĂ© !
En tant que femme, je pense quâĂ lâheure actuelle câest plus facile. Les structures, les Ă©quipes cherchent Ă embaucher des femmes aujourdâhui. Pour autant, rien ne sert de se genrer, ne pas rester dans un truc de « je suis une femme avec des hommes ». Je ne me suis jamais sentie jugĂ©e dans mon mĂ©tier parce que je suis une femme. Bien sĂ»r, jâai eu droit Ă des rĂ©flexions stĂ©rĂ©otypĂ©es « Ha ! Tu fais partie de la commâ ? Ben oui, câest sĂ»r quâau plateau avec des cĂąbles plein les bras, je fais partie de la commâ ! ». Mais je ne dirais pas quâil faut en faire plus que les hommes pour rĂ©ussir dans ce mĂ©tier, il ne me semble pas. Câest sĂ»r quâen tant que femme on est moins dans la cooptation, dans les rĂ©seaux masculins liĂ©s Ă ces mĂ©tiers pour avoir des opportunitĂ©s de travail, par contre, dĂšs quâil y a des femmes sur ces fonctions, il y a souvent unanimitĂ© pour reconnaĂźtre que ça fonctionne trĂšs trĂšs bien ! On est aussi sur une Ă©volution du mĂ©tier qui aujourdâhui se centre davantage sur lâaspect ressources humaines que dans les annĂ©es 1990 â 2000 oĂč on restait centrĂ© sur lâaspect technique. Cela a rĂ©ellement changĂ© la construction de ce mĂ©tier qui peut plus facilement devenir une vocation aujourdâhui.
Ma reconnaissance professionnelle vient du retour des artistes et des Ă©quipes techniques dâavoir Ă©tĂ© accueillis dans des conditions saines oĂč chacun et chacune a pu faire simplement son mĂ©tier
Il faut avoir envie dâapprendre, dâĂ©couter et ĂȘtre prĂȘt·e Ă accepter cette situation dâapprentissage pour se familiariser avec le vocabulaire, lâenvironnement technique, la culture professionnelle de ces mĂ©tiers. Enfin, garder les liens, rester curieux.se, faire des stages, dĂ©couvrir, arriver Ă trouver la juste façon de rentrer en contact et de le rester !
Ton futur professionnel dans lâidĂ©al ?Â
AprĂšs la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale, le chemin tout tracĂ© sur le papier est celui dâaller vers la direction technique, ce qui me plairait dâailleurs avec lâaspect sĂ©curitĂ© qui mâintĂ©resse Ă©galement. NĂ©anmoins, pour lâinstant, il me manquerait la dimension accueil des Ă©quipes artistiques, concerts au quotidien. Je ne suis pas encore prĂȘte Ă lĂącher complĂštement ces aspects-lĂ de mon mĂ©tier.
Mais ensuite arrivent vite les questions dâarticulation des temps de vie. Aujourdâhui, jâai un enfant et jâarrive Ă trouver un relatif Ă©quilibre entre mes obligations professionnelles en termes de prĂ©sence et ma vie personnelle, la garde de mon enfant et les soirĂ©es de concerts⊠Mais je pense que si je veux une famille plus nombreuse, je serai obligĂ©e de quitter mes fonctions de rĂ©gie. Câest une vraie problĂ©matique qui arrive dans les musiques actuelles. Comme jusquâici il y a eu beaucoup dâhommes en rĂ©gie, moins impactĂ©s par les charges familiales, les questions de la parentalitĂ© se sont peu posĂ©es dans les organisations, peu de choses ont Ă©tĂ© mises en place. Je me rends compte aujourdâhui que si moi je ne mets pas un frein, si je ne verbalise pas le fait de rĂ©flĂ©chir Ă mon rythme de prĂ©sences au regard des Ă©volutions de ma vie de jeune maman, il nây a pas de prise de conscience, dâĂ©changes en amont sur les amĂ©nagements possibles de mon rythme de travail et les solutions Ă imaginer pour conjuguer au mieux les besoins de la structure et mes Ă©volutions de vie. Sur dâautres fonctions comme la production, la communication, lâadministration, il est plus commun de penser ces amĂ©nagements de postes, mais pas sur la fonction de rĂ©gie. Par consĂ©quent, câest difficile de se projeter Ă long terme sur ce mĂ©tier si je souhaite agrandir ma famille !
Ă cela aussi se conjugue nos besoins de temps pour soi, des temps de loisirs, de vie sociale dans dâautres espaces, etc. Pour lâinstant, on prend en compte essentiellement les temps de travail versus les temps de garde de ma fille, mais pour lâinstant je nâai plus de place pour mes temps de loisirs personnels.Â
Il faudrait que je sois proactive dans ces combats, mais seule face Ă une Ă©quipe de direction majoritairement masculine, je nâen ai pas lâĂ©nergie ou alors il faudrait monter des collectifs rĂ©flĂ©chir Ă des moyens mutualisĂ©s, mais cela demande encore du temps !
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