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What About Her ? – Emmeline Cadio

Juin 10, 2022

Emmeline Cadio, est rĂ©gisseuse principale de la toute rĂ©cente scĂšne de musiques actuelles de l’agglomĂ©ration lorientaise, Hydrophone. Elle nous partage son cheminement entre Lyon et la Bretagne pour arriver jusqu’à la rĂ©gie, une fonction qu’elle incarne par vocation, par envie de crĂ©er les conditions d’un lien rĂ©el et heureux entre les artistes, les Ă©quipes techniques et le lieu, mĂȘme si ce n’est que le temps d’un concert.  

Hydrophone est officiellement apparu dans le paysage breton des salles de concert en mars 2019, issu de la rĂ©habilitation d’un ancien blockhaus de la base sous-marine de Lorient. Devenu aujourd’hui « Lorient la Base », ce quartier de l’agglomĂ©ration lorientaise en bord de rade, mixe une citĂ© de la voile, un pĂŽle de course au large, divers lieux de pratiques sportives et d’histoire avec entre autres le sous-marin Flore et son musĂ©e, mais aussi et surtout pour ce qui nous intĂ©resse plus particuliĂšrement, Hydrophone, ce lieu dĂ©diĂ© aux musiques actuelles, digne hĂ©ritier du ManĂšge et des Studios animĂ©s depuis presque 30 ans par l’association MAPL, Musiques d’Aujourd’hui au Pays de Lorient.

Entretien avec Emmeline Cadio

Emmeline, peux-tu nous partager ce qui t’a donnĂ© envie d’ĂȘtre rĂ©gisseuse ? 

L’envie de la rĂ©gie est venue comme pour beaucoup de personnes, je pense, avec la petite asso crĂ©Ă©e avec des copains, copines d’études avec qui nous organisions des concerts, pour moi ça se passait Ă  Lyon. On proposait surtout des soirĂ©es hip-hop et Ă©lectro. C’est au cours de ces concerts-lĂ  que j’ai dĂ©couvert ce qu’était la rĂ©gie ; j’ai compris que ça existait, j’y ai d’ailleurs pris goĂ»t !  Un an aprĂšs je rentrais en formation de rĂ©gie au GRIM-Edif Ă  Lyon.

Par mon environnement familial, j’ai grandi dans une forme de culture.  Ma mĂšre a toujours fait du thĂ©Ăątre en amateur, mon frĂšre est devenu comĂ©dien professionnel. J’ai passĂ© toute mon adolescence dans tous les festivals de Bretagne Ă  la recherche de cet Ă©tat d’esprit singulier qu’on retrouve sur ce type d’évĂšnement oĂč tu rencontres 40 personnes dans la soirĂ©e avec qui tu tisses des liens pour longtemps, et tout ça sans Ă©couter rĂ©ellement les concerts ! Mais je n’ai jamais jouĂ© d’un quelconque instrument !

En fait aprĂšs le bac, durant la saison estivale, j’ai rencontrĂ© un groupe de Lyonnaises qui sont devenues des amies. Ce sont elles qui m’ont parlĂ© des mĂ©tiers de la culture que je ne connaissais pas Ă  l’époque, qu’on n’imagine pas en tant que festivaliĂšre et ce n’est pas Ă  lâ€˜Ă©cole qu’on nous prĂ©sente ces mĂ©tiers-lĂ , c’est vraiment dommage !

Aussi, aprĂšs une formation gĂ©nĂ©raliste dans la culture, mon entrĂ©e dans ce secteur a commencĂ© par la communication ensuite par la production, mais je n’ai pas trouvĂ© de rĂ©el Ă©panouissement professionnel via ces deux mĂ©tiers. Ce n’était pas rĂ©ellement fait pour moi-mĂȘme, mĂȘme si je continuais d’apprĂ©cier l’environnement culturel et surtout les concerts. AprĂšs ma formation au GRIM, mon insertion professionnelle dans la rĂ©gie s’est en fait passĂ©e trĂšs vite ! J’ai fait mon premier stage Ă  l’Echonova Ă  Vannes, structure que je ne connaissais pas vu qu’elle Ă©tait sortie de terre alors que j’avais quittĂ© ma Bretagne d’origine, mais je connaissais le ManĂšge et les IndisciplinĂ©es Ă  Lorient, que j’ai contactĂ©s. De rebond en rebond je suis arrivĂ©e Ă  l’Echonova. Ça s’est fait assez facilement avec l’Echonova qui avait Ă©galement des besoins en appui rĂ©gie sur leur festival RĂȘveries modernes qui avait lieu en septembre Ă  l’époque et leur dĂ©marrage de saison en octobre, ce qui coĂŻncidait aussi avec ma pĂ©riode de stage un peu atypique par rapport Ă  la saisonnalitĂ© des festivals ou des besoins sur les lieux.

En fait, trois jours aprĂšs le dĂ©but de mon stage, je me suis retrouvĂ©e avec Benjamin Bruneau, Ă  l’époque technicien polyvalent de la salle. Benjamin a trĂšs vite pris les fonctions de rĂ©gisseur de la structure et pour moi ces deux mois de stage ont Ă©tĂ© hyper formateurs en apprentissage, en autonomie. Je me suis formĂ©e assez vite et j’ai pu dĂ©couvrir rĂ©ellement ce qu’était la rĂ©gie dans un climat de confiance oĂč j’ai rapidement assumĂ© seule des rĂ©gies.

Je suis ensuite rentrĂ©e Ă  Lyon pour valider mon diplĂŽme. J’ai fait quelques plans de run sur le festival des Nuits de FourviĂšre, les places en rĂ©gie Ă©tant trĂšs prisĂ©es, voire inaccessibles. Puis j’ai Ă©tĂ© rappelĂ©e en Bretagne, pour un remplacement Ă  l’Echonova de septembre 2017 Ă  avril 2018 pour ĂȘtre rĂ©gisseuse, Benjamin Bruneau ayant repris les fonctions de direction technique. Septembre 2019 un poste de rĂ©gisseuse principale se crĂ©e Ă  Hydrophone qui vient de voir le jour ! C’est le dĂ©but de mon parcours professionnel pleinement dĂ©diĂ© Ă  la rĂ©gie au sein de cette structure.

Mon mĂ©tier c’est de permettre que tout se passe au mieux, entre tout le monde, sur le plan humain d’abord, mais aussi sur le plan technique

Quelle est la réalité de ton métier de régisseuse principale ?

Ce que j’aime particuliĂšrement, c’est accueillir les personnes, les groupes, aspect positif du mĂ©tier que j’avais d’ailleurs dĂ©jĂ  rencontrĂ© avec les relations presse quand je faisais de la communication et c’est cela que je retrouve en rĂ©gie. De plus, les interlocuteur·rice·s en technique sont des interlocuteurs que je trouve plus faciles, plus francs dans des relations simples et directes ce que j’apprĂ©cie pleinement.

Je passe vraiment beaucoup, beaucoup de temps au tĂ©lĂ©phone. C’est ma maniĂšre de travailler, celle qui m’a Ă©tĂ© transmise, je privilĂ©gie vraiment le contact direct avec les personnes mĂȘme si elles me parlent de leur chat, de leurs enfants, leur vie quotidienne, j’aime Ă©normĂ©ment ces Ă©changes. Ils instaurent un climat de confiance qui facilite ensuite la nĂ©gociation, la rĂ©ciprocitĂ© dans la relation, la comprĂ©hension des rĂ©alitĂ©s de chacun et le fait que le jour J tout se passe souvent trĂšs bien ! Mon quotidien c’est beaucoup de bureautique en fait !

AprĂšs il y a le lien avec les Ă©quipes techniques. Nous n’avons pas de technicien·ne permanent·e pour les concerts Ă  Hydrophone, nous employons des technicien·ne·s intermittent·e·s en son, lumiĂšre et au plateau pour chaque date.

Je recueille les informations concernant les besoins techniques des Ă©quipes artistiques qu’on va accueillir, j’échange avec elles sur les adaptations possibles en sachant qu’à Hydrophone c’est plutĂŽt facile, car vu la nouveautĂ© du bĂątiment et de ses Ă©quipements, nous sommes bien dotĂ©s tant en termes de matĂ©riel Ă  disposition que d’acoustique et mĂȘme de compĂ©tences pour accueillir les groupes et les artistes.

J’organise les affectations, les plannings, je rĂ©dige les contrats de travail, les dossiers rĂ©capitulatifs pour chaque date avec le rappel des nĂ©gociations le cas Ă©chĂ©ant, des fiches techniques, des feuilles de patch
 l’idĂ©e c’est que le jour J, il n’y ait plus qu’à sortir les micros !

Le jour J, c’est mon moment prĂ©fĂ©rĂ©, l’accueil, la rencontre, accompagner toute cette journĂ©e jusqu’au concert et mĂȘme aprĂšs. Je suis prĂ©sente dĂšs l’arrivĂ©e du groupe, des artistes, je suis lĂ  pour discuter parfois faire la guide touristique, m’assurer que ça se passe bien au plateau. Notre accueil est souvent facilitĂ©, voire rĂ©ussi d’aprĂšs les retours que l’on nous fait, car nous sommes aussi dans un lieu original et dans un environnement qui Ă©tonne, la rade de Lorient, Ă  cĂŽtĂ© d’un ancien sous-marin


Si besoin d’aide au plateau, j’aide sans problĂšme, mais je laisse le plus possible les technicien·ne·s dans leur propre organisation. Par contre, j’interviens s’il y a des problĂšmes de communication entre les artistes et l’équipe technique Ă  qui je demande de ne pas ĂȘtre dans le conflit avec les Ă©quipes artistiques. C’est vraiment lĂ  oĂč je place mon rĂŽle, celui d’assurer ce lien, cette fluiditĂ© dans le dĂ©roulĂ© et l’organisation de la journĂ©e.

Historiquement, ce n’était pas une vocation d’ĂȘtre rĂ©gisseur. C’était souvent les techniciens son qui en avaient marre de faire de la tournĂ©e, qui Ă©taient fatiguĂ©s du rythme ou qui rencontraient des soucis physiques, qui petit Ă  petit se sont retrouvĂ©s dans des salles de maniĂšre plus fixes. Ce sont souvent des techniciens qui sont devenus rĂ©gisseurs, aussi il y a eu une porositĂ© induite entre la technique et la rĂ©gie. Pour ma part, je n’ai ni formation technique en lumiĂšre, ni en son, ma force professionnelle est sur la communication, les relations humaines, la coordination, ce sont donc ces compĂ©tences que j’exploite au quotidien dans mon mĂ©tier. De plus, Ă  Hydrophone c’est vraiment ce type de profil qu’ils recherchaient quand ils ont crĂ©Ă© le poste. Dans beaucoup d’autres salles, il y a des profils de rĂ©gisseur·se oĂč il faut aussi avoir des compĂ©tences techniques en son ou en lumiĂšre. Ce qui m’importe dans ce mĂ©tier c’est d’ĂȘtre centrĂ©e sur les notions de liens, d’accueil, d’émotionnel, de gestion des Ă©quipes, de savoir comment chacun et chacune va le jour J pour anticiper aussi ce qui pourrait coincer, avoir une attention particuliĂšre sur une personne quand elle en a besoin. En fait, il y a eu parfaite congruence entre la façon dont a Ă©tĂ© imaginĂ©e ce poste Ă  Hydrophone et la maniĂšre dont je veux et peux faire de la rĂ©gie.

Ma force professionnelle est sur la communication, les relations humaines, la coordination

Quels conseils donnerais-tu à une personne qui aurait envie de se lancer dans la régie ? 

Il faut ĂȘtre patient·e et s’accrocher au dĂ©but, c’est un peu la « Bernique sur son rocher » au dĂ©marrage. Je suis arrivĂ©e en poste Ă  30 ans rĂ©volus, j’ai mis 10 ans Ă  trouver mon rĂ©el endroit d’épanouissement professionnel dans la culture, sur ces fonctions de rĂ©gie !

Il faut aimer les contacts humains. Il faut Ă  la fois avoir un Ă©go et ne pas en avoir, ĂȘtre dans un juste milieu entre ĂȘtre quelqu’un qui peut ĂȘtre leadeur et en mĂȘme temps savoir ĂȘtre complĂštement effacé·e ; c’est presque une double personnalitĂ© !

En tant que femme, je pense qu’à l’heure actuelle c’est plus facile. Les structures, les Ă©quipes cherchent Ă  embaucher des femmes aujourd’hui. Pour autant, rien ne sert de se genrer, ne pas rester dans un truc de « je suis une femme avec des hommes ». Je ne me suis jamais sentie jugĂ©e dans mon mĂ©tier parce que je suis une femme. Bien sĂ»r, j’ai eu droit Ă  des rĂ©flexions stĂ©rĂ©otypĂ©es « Ha ! Tu fais partie de la comm’ ? Ben oui, c’est sĂ»r qu’au plateau avec des cĂąbles plein les bras, je fais partie de la comm’ ! ». Mais je ne dirais pas qu’il faut en faire plus que les hommes pour rĂ©ussir dans ce mĂ©tier, il ne me semble pas. C’est sĂ»r qu’en tant que femme on est moins dans la cooptation, dans les rĂ©seaux masculins liĂ©s Ă  ces mĂ©tiers pour avoir des opportunitĂ©s de travail, par contre, dĂšs qu’il y a des femmes sur ces fonctions, il y a souvent unanimitĂ© pour reconnaĂźtre que ça fonctionne trĂšs trĂšs bien ! On est aussi sur une Ă©volution du mĂ©tier qui aujourd’hui se centre davantage sur l’aspect ressources humaines que dans les annĂ©es 1990 – 2000 oĂč on restait centrĂ© sur l’aspect technique. Cela a rĂ©ellement changĂ© la construction de ce mĂ©tier qui peut plus facilement devenir une vocation aujourd’hui.

Ma reconnaissance professionnelle vient du retour des artistes et des Ă©quipes techniques d’avoir Ă©tĂ© accueillis dans des conditions saines oĂč chacun et chacune a pu faire simplement son mĂ©tier

Il faut avoir envie d’apprendre, d’écouter et ĂȘtre prĂȘt·e Ă  accepter cette situation d’apprentissage pour se familiariser avec le vocabulaire, l’environnement technique, la culture professionnelle de ces mĂ©tiers. Enfin, garder les liens, rester curieux.se, faire des stages, dĂ©couvrir, arriver Ă  trouver la juste façon de rentrer en contact et de le rester !

Ton futur professionnel dans l’idĂ©al ? 

AprĂšs la rĂ©gie gĂ©nĂ©rale, le chemin tout tracĂ© sur le papier est celui d’aller vers la direction technique, ce qui me plairait d’ailleurs avec l’aspect sĂ©curitĂ© qui m’intĂ©resse Ă©galement. NĂ©anmoins, pour l’instant, il me manquerait la dimension accueil des Ă©quipes artistiques, concerts au quotidien. Je ne suis pas encore prĂȘte Ă  lĂącher complĂštement ces aspects-lĂ  de mon mĂ©tier.

Mais ensuite arrivent vite les questions d’articulation des temps de vie. Aujourd’hui, j’ai un enfant et j’arrive Ă  trouver un relatif Ă©quilibre entre mes obligations professionnelles en termes de prĂ©sence et ma vie personnelle, la garde de mon enfant et les soirĂ©es de concerts
 Mais je pense que si je veux une famille plus nombreuse, je serai obligĂ©e de quitter mes fonctions de rĂ©gie. C’est une vraie problĂ©matique qui arrive dans les musiques actuelles. Comme jusqu’ici il y a eu beaucoup d’hommes en rĂ©gie, moins impactĂ©s par les charges familiales, les questions de la parentalitĂ© se sont peu posĂ©es dans les organisations, peu de choses ont Ă©tĂ© mises en place. Je me rends compte aujourd’hui que si moi je ne mets pas un frein, si je ne verbalise pas le fait de rĂ©flĂ©chir Ă  mon rythme de prĂ©sences au regard des Ă©volutions de ma vie de jeune maman, il n’y a pas de prise de conscience, d’échanges en amont sur les amĂ©nagements possibles de mon rythme de travail et les solutions Ă  imaginer pour conjuguer au mieux les besoins de la structure et mes Ă©volutions de vie. Sur d’autres fonctions comme la production, la communication, l’administration, il est plus commun de penser ces amĂ©nagements de postes, mais pas sur la fonction de rĂ©gie. Par consĂ©quent, c’est difficile de se projeter Ă  long terme sur ce mĂ©tier si je souhaite agrandir ma famille !

À cela aussi se conjugue nos besoins de temps pour soi, des temps de loisirs, de vie sociale dans d’autres espaces, etc. Pour l’instant, on prend en compte essentiellement les temps de travail versus les temps de garde de ma fille, mais pour l’instant je n’ai plus de place pour mes temps de loisirs personnels. 

Il faudrait que je sois proactive dans ces combats, mais seule face Ă  une Ă©quipe de direction majoritairement masculine, je n’en ai pas l’énergie ou alors il faudrait monter des collectifs rĂ©flĂ©chir Ă  des moyens mutualisĂ©s, mais cela demande encore du temps !

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