What About Her ? – Claire Zins
Vivre une vie artistique, jouer dans un groupe et partager cette énergie collective : c’est ce qui anime Claire Zins depuis toujours. Mais loin de garder ses rêves d’adolescente comme de simples vœux pieux, Claire a su leur donner corps, sur scène comme en dehors, aux côtés d’autres artistes du Grand Est, territoire où elle a grandi. Guitariste et chanteuse, elle est aussi responsable de l’accompagnement artistique à La Souris Verte à Épinal. Guidée par l’envie de relier les personnes autour de la musique, de défendre l’indépendance, c’est l’engagement d’une vie en musique que nous partage Claire Zins.
Nichée au cœur d’Épinal, La Souris Verte est la scène de musiques actuelles (SMAC) du territoire vosgien qui a fêté ses vingt ans de musiques actuelles. Avec ses deux salles de concert de 500 et 150 places, ses six studios de répétition, ses pôles accompagnement, résidences et actions culturelles, elle est à la fois un lieu de diffusion, de création et de transmission pour la scène locale et bien au-delà . Ancrée sur le territoire, le projet de la Souris Verte entend résonner avec les enjeux culturels et sociétaux contemporains et rester un espace de rencontres et d’expérimentations pour tous et toutes !
« 30 ans et des principes toujours bien ancrĂ©s en faveur de la diversitĂ© artistique et culturelle, de l’égalitĂ© des genres, de l’accès Ă la culture pour le plus grand nombre, de l’accueil et l’accompagnement pour toutes et tous, de la coopĂ©ration et la solidaritĂ©. »Â
Entretien avec
Claire Zins
Quel est ton métier aujourd’hui ?
Claire : Je suis responsable du pĂ´le dĂ©veloppement d’artistes et de l’accompagnement des musicien·nes de la Souris Verte Ă Epinal. Ça, c’est un de mes mĂ©tiers. Et mon autre mĂ©tier, c’est d’ĂŞtre musicienne !
Qu’est-ce qui t’a donnĂ© envie de devenir musicienne ?
J’Ă©coute de la musique depuis toujours, mes parents sont très « musique », ils en Ă©coutent aussi beaucoup. Ce sont des personnes qui ne m’ont jamais poussĂ©e Ă faire de la musique, Ă jouer d’un instrument en tant que tel, mais je sais qu’assez tĂ´t, mon rĂŞve c’Ă©tait d’avoir un groupe de musique, sans savoir pour autant, quelle forme ça allait prendre ou comment faire!. Il se trouve que c’est mon oncle qui m’a offert une guitare. J’ai commencĂ© Ă jouer un peu comme ça, toute seule, et ce n’Ă©tait pas bien fameux ! Et puis en fait, j’ai rejoint mon premier groupe de musique, d’ailleurs le seul projet musical que j’ai actuellement, quand j’avais 15-16 ans. Au dĂ©part j’Ă©tais guitariste et chanteuse, après autocensure, et j’ai choisi d’être juste chanteuse. LĂ , ça fait un an que j’ai repris la guitare sur scène, après bien 10 ans d’arrĂŞt. Mais en y repensant c’Ă©tait une conviction depuis toujours, je savais que je voulais avoir une vie artistique peu importe ce que ça allait ĂŞtre ! J’ai aussi fait Ă©normĂ©ment de théâtre, ça me plaisait beaucoup , mais la musique, c’est vraiment, je pense, le milieu artistique qui me plaĂ®t et me touche le plus ! Et puis, Ă©coutant beaucoup de musique rock, je me suis naturellement orientĂ©e vers ces esthĂ©tiques musicales-lĂ .
Depuis toute petite, je savais que je voulais avoir une pratique artistique qui occupe une place centrale dans ma vie !
Comment as-tu avancé ou progressé dans ta pratique musicale ?
J’ai pris des cours pendant cinq ans. Et après, j’ai arrĂŞtĂ© Ă partir du moment oĂą je suis allĂ©e en Ă©tudes supĂ©rieures. J’ai continuĂ© « vite fait ». Puis en fait, j’ai arrĂŞtĂ©, j’avais honte de mon niveau ! J’ai recommencĂ© un peu Ă jouer timidement pendant le Covid parce que je m’ennuyais beaucoup. Et mĂŞme si ce n’Ă©tait pas suffisant, c’est Ă partir du moment oĂą je me suis dit que mon objectif Ă©tait de refaire de la guitare sur scène, que j’ai recommencĂ© Ă rĂ©ellement travailler ma guitare toute seule ! Et puis j’ai repris quelques cours avec un ami, mais globalement je suis souvent seule dans ma pratique, j’essaie de m’adapter aux objectifs que j’ai !
Comment as-tu rencontré le groupe au sein duquel tu joues? Comment s’est-il constitué ?
Alors, ce groupe s’appelle The Nucleons Project. Il est nĂ© au lycĂ©e autour d’un noyau d’amis proches. Actuellement, nous sommes quatre dont trois Ă ĂŞtre lĂ depuis le dĂ©but, depuis 13 ans ensemble ! Le batteur, le bassiste et moi-mĂŞme. Et ça avance comme ça ! Il y a eu des personnes qui sont venues, qui sont reparties, des personnes avec qui ça ne l’a pas fait. En fait, ça n’a pas tant changĂ©, finalement, vu que la majoritĂ© du groupe est la mĂŞme depuis 13 ans ! Je sais qu’il y a plein de groupes qui arrĂŞtent Ă partir des Ă©tudes supĂ©rieures, mais ça n’a jamais Ă©tĂ© une option pour moi. Ă€ partir du moment oĂą j’avais ce projet, je me suis dit « il va falloir qu’on avance et je vais articuler ma vie autour de ce projet ». C’est encore le cas actuellement d’ailleurs ! C’est un peu notre pacte Ă tous les trois ! Après les premiers moments de jeu ensemble, nous nous sommes dits que quoi qu’il arrivait, ce serait le groupe, la musique qui allait primer sur notre vie . Après, on n’a forcĂ© personne ! A un moment donnĂ© les personnes qui n’ont pas voulu suivre n’ont pas suivi, ce est pas grave ; mais c’est ce pacte-lĂ qui nous lie ! On est sĂ»rs de nous, on sait ce qu’on veut donc on fait en sorte de ne pas habiter trop loin les un·es des autres, d’avoir des rĂ©pĂ©titions rĂ©gulières, de travailler ensemble. Et comme nous sommes complètement indĂ©pendant·es on organise nos rĂ©pĂ©titions, nos concerts d’une certaine manière pour rĂ©ussir Ă conjuguer musique et vies professionnelles et personnelles !
Combien de dates faites-vous Ă peu près chaque annĂ©e ?Â
Ça dĂ©pend, mais c’est souvent une petite trentaine de dates par an. C’est dĂ©jĂ pas mal ! On joue autant dans des bars, des festivals, que dans des salles. On a eu aussi quelques belles dates cette annĂ©e ! Nous avons fait une première partie Ă la Cartonnerie Ă Reims. On a jouĂ© dans plein d’endroits dans le Grand Est, mais aussi ailleurs en France. Nous avons retravaillĂ© l’image du groupe, nous l’avons fait Ă©voluer. Nous avons eu des changements de line-up ces dernières annĂ©es, mais lĂ , on a retrouvĂ© une stabilitĂ© depuis un an et demi. Donc c’est bien ! On arrive Ă cheminer comme ça et c’est très chouette.
Et alors, pour l’autre partie de ta vie, comment es-tu devenue responsable du pĂ´le accompagnement de La Souris Verte ?
Je suis arrivĂ©e Ă La Souris Verte en 2019-2020, par le biais d’un service civique au sein des studios de rĂ©pĂ©tition. J’ai Ă©tĂ© retenue, je pense, grâce Ă mon profil artistique. Ça a Ă©tĂ© une très chouette annĂ©e ! Et puis, en fait, la Souris Verte m’a proposĂ© le poste parce que la personne qui s’occupait de l’accompagnement allait partir Ă la retraite. Ça s’est fait un peu comme ça !.Â
J’ai acceptĂ© le poste et j’ai Ă©tĂ© nommĂ©e responsable du pĂ´le. Et maintenant Ă La Souris Verte je mets en place les ateliers, formations, sessions d’information pour les musicien·nes : les rendez-vous diagnostics et stratĂ©giques, les accompagnements artistiques et techniques, le coaching scĂ©nique, les accompagnement Ă la rĂ©pĂ©tition. Quand j’ai les compĂ©tences pour rĂ©pondre aux besoins des artistes, je rĂ©alise les accompagnements, quand je ne les ai pas, je fais appel Ă d’autres personnes. Je suis souvent au contact direct des musicien·nes et ça me plaĂ®t beaucoup ! Je suis aussi responsable de la prĂ©vention des violences sexistes et sexuelles au sein de la structure.Â
Sur la partie accompagnement, je ne cache pas le fait que je suis musicienne aux personnes que j’accompagne. Ça me permet de leur partager mon expĂ©rience directe. Le fait que moi aussi j’ai galĂ©rĂ©, que je me suis beaucoup trompĂ©e et que j’ai cherchĂ© des chemins pour continuer Ă faire de la musique ! Finalement, je fais les choses dont j’aurais aimĂ© bĂ©nĂ©ficier en tant que jeune musicienne ! J’ai Ă©laborĂ© des techniques sur le booking, sur la dĂ©finition de la direction artistique par moi-mĂŞme. Je n’ai pas vraiment eu de formation lĂ -dessus, mis Ă part sur l’entrĂ©e pĂ©dagogique. Je pense que ça plaĂ®t Ă beaucoup de groupes cette partie plus concrète, avec quelqu’un qui est passĂ© par lĂ Â ! Je leur partage tous les outils avec lesquels je travaille en tant que musicienne indĂ©pendante pour le dĂ©veloppement de notre groupe. Et puis j’ai vu Ă©normĂ©ment de concerts et que j’en ai fait beaucoup aussi, ça me permet d’avoir une certaine assise des deux cĂ´tĂ©s du mĂ©tier !
En fait j’ai trouvé ça très étonnant quand je suis arrivée dans ce secteur, qu’il n’y ait pas plus de femmes, mais je n’en n’avais pas forcément conscience avant.
Si tu devais décrire ton métier à La Vapeur, à quelqu’un qui ne connaît pas forcément tous les rouages des lieux de musique actuels, comment lui présenterais-tu tes tâches, tes fonctions au quotidien ?
Au sein de La Vapeur, je suis à la fois sur la régie des studios, mais aussi sur l’accompagnement artistique. J’accompagne les musicien·nes dans le développement de leurs projets, leur structuration ; je les aide à mieux comprendre l’écosystème des musiques actuelles, quelle peut y être leur place, comment s’y insérer, etc. Avec l’équipe, je pilote des projets créations éphémères avec des artistes locaux pour des événements spéciaux. Nous réfléchissons à des ateliers pour les musicien·nes. En ce qui concerne la partie régie studio, pour moi elle est pleinement en lien avec l’accompagnement, puisqu’en fait, la première étape pour un·e musicien·e, un groupe ça va être aussi de répéter en studio ! Cette partie-là de mes fonctions est un peu plus technique. On aide les musicien·nes à s’installer, à se protéger des nuisances sonores liées à l’amplification. L’association de ces deux endroits de travail, l’accompagnement à la répétition et l’accompagnement artistique, me permet également de mieux connaître les groupes locaux, de voir comment ils répètent, de mieux les conseiller dans le développement de leur projet, je trouve ça pertinent ! Il y a aussi l’accompagnement des groupes locaux en résidence, que ce soit en studio ou sur scène. Il faut gérer bien sûr tout ce qui relève de l’organisation, des planning, mais également aussi de tous les besoins matériels. Il y a également la partie résidence dans le club ou dans la grande salle de la Vapeur. Dans ce cas-là , nous embauchons le plus souvent un ou une technicien·nes, mais ça peut arriver qu’on fasse nous-mêmes un accueil technique léger. Il faut alors s’organiser pour que la salle soit prête quand le groupe pousse les portes ! Si je devais choisir quelques mots pour présenter mon métier, je vois en tout cinq grandes parties : accompagnement, création, résidence, ateliers-programmations, et studios !
Qui sont les groupes qui répètent à la Vapeur en termes par exemple de styles esthétiques de répartition genrée, comment les observes-tu ?
A la Vapeur, nous utilisons le logiciel Quick Studio comme beaucoup d’autres lieux de musiques actuelles avec des studios. Ce logiciel permet, si nous le renseignons bien, d’avoir un suivi des esthĂ©tiques, des genres, des âges, etc., pour les groupes qui rĂ©pètent dans nos studios. Ça nous sert aussi beaucoup pour les bilans de fin d’annĂ©e, ça nous permet d’avoir une vision globale des musiciens et musiciennes qui rĂ©pètent Ă la Vapeur. Après ça m’arrive souvent que des musiciennes viennent me voir pour justement discuter de comment moi je ressens le fait d’être isolĂ©e en tant que femme dans ces mĂ©tiers-lĂ . En fait j’ai trouvĂ© ça très Ă©tonnant quand je suis arrivĂ©e dans ce secteur, mais je n’en avais pas forcĂ©ment conscience avant.
Qu’est-ce qui te fait le plus vibrer dans ton mĂ©tier ? Quand est-ce que tu te dis, ah oui, lĂ , je suis Ă ma place ?Â
Ce qui est plaisant, c’est que je pense à beaucoup de moments ! Je me rappelle l’un des premiers accompagnements en résidence que j’ai mené en autonomie. A la Vapeur, nous organisons deux scènes chaque trimestre, « Les grands bains » et les « Support your local band ». Ces dispositifs favorisent le repérage de groupes locaux et les accompagnent, le plus souvent, à leur première scène. Et la première fois que j’ai réalisé un accompagnement scénique avec un groupe repéré par le dispositif des grands bains, et nous sommes arrivés au jour J du concert, on avait beaucoup travaillé avant et l’un des musiciens m’a dit : « je me sens en confiance, je sais qu’on a énormément bien travaillé, que ce soit dans le son ou que ce soient mes déplacements sur la scène, je sais que ça va bien se passer ! ». Et puis, en fait, il a trop kiffé d’être sur scène et ça l’a motivé encore plus pour développer son projet. À ce moment-là , je me suis dit, « quelle satisfaction totale de le voir aussi heureux, motivé, et de voir qu’en fait, j’ai accompli aussi ma mission. D’avoir apporté ma pierre à l’édifice de ce projet, j’aime bien cette expression car elle traduit vraiment ce que je ressens ! Ce type de petit moment de gratitude, ça ne dure pas longtemps, vraiment, mais ça suffit pour en fait continuer à faire en sorte que d’autres groupes soient aussi motivés à développer leurs projets et à se professionnaliser !
Je leur montre la carte de France avec laquelle je fais le booking de mon propre groupe, comment on travaille, on rĂ©pète ! C’est aussi très rĂ©ciproque.Â
Tu évoques ta formation, quel parcours as-tu suivi ?
Au niveau universitaire, j’ai fait deux ans d’information-communication, qui me sont toujours utiles ! Après, j’ai fait une annĂ©e de licence professionnelle de production et d’administration des musiques actuelles. Par ce biais je suis rentrĂ©e dans ce secteur, mĂŞme si au final je ne fais ni rĂ©ellement de prod, ni vraiment d’administration dans ma structure, mais c’Ă©tait hyper intĂ©ressant de dĂ©couvrir ces volets-lĂ . Et après, j’ai fait deux ans de master, : une première annĂ©e en arts et culture et une deuxième annĂ©e axĂ©e sur la direction de projet d’Ă©tablissement culturel et la gestion de projets. C’était vraiment plus intĂ©ressant ! Sinon depuis que je suis Ă La Souris Verte, j’ai suivi la formation de musicien·ne conseil proposĂ©e par le RPM, qui m’a apportĂ© des notions de pĂ©dagogie. Je la recommande Ă quiconque veut travailler dans l’accompagnement, elle est vraiment gĂ©niale !
Au sortir de tes études, tu imaginais accompagner des groupes à ce moment-là  ?
Pas du tout !
Tu étais alors dans la musique et tu souhaitais le rester ?
Je ne savais pas vraiment, il y avait plein de mĂ©tiers qui s’offraient Ă moi, Ă la suite de mon parcours universitaire. Après, en termes de stage ou d’alternance, j’ai Ă©tĂ© autant chargĂ©e de production, qu’assistante de communication. J’ai travaillĂ© dans une association, mais j’ai aussi travaillĂ© Ă la direction de la culture de la ville de Dijon. J’ai essayĂ© de voir diffĂ©rents cadres, plus institutionnels, moins institutionnels. Et puis mon service civique Ă La Souris Verte, en fait, m’a permis de voir une structuration qui soit un peu entre les deux, entre l’associatif et la collectivitĂ© publique.Â
J’avais vu la mission autour des studios dans le cadre de ce service civique. Je me suis dis que je ne serai pas en terre inconnue et que j’allais apprendre beaucoup aussi. J’allais ĂŞtre en contact avec les groupes, ça me semblait intĂ©ressant. Mais de prime abord, je ne pensais pas me diriger vers l’accompagnement. Par contre, Ă partir du moment oĂą j’ai mis un pied dans l’accompagnement, je me suis dit « c’est ça qui me plaĂ®t en fait ! ». A cette pĂ©riode j’étais en pleine rĂ©flexion sur le fait de travailler dans la culture ; je me demandais vers quel type de structure, m’orienter ? Travailler dans des plus « grosses » institutions, des milieux plus associatifs, alternatifs, mais aussi fragiles ? En fait, je viens d’un milieu musical vraiment indĂ©pendant, underground, je me suis vraiment retrouvĂ©e dans ces fonctions d’accompagnement. J’y ai compris que mon Ă©panouissement professionnel se situe dans le fait d’aider des gens Ă rĂ©aliser leurs projets en fait ! Mais ça m’est tombĂ© un peu dessus ! Finalement j’en suis très heureuse, peut-ĂŞtre que c’est venu inconsciemment ? J’ai trouvĂ© ça vraiment très intĂ©ressant de rencontrer des musicien·nes qui arrivent soit avec une petite idĂ©e, soit sans aucune et on imagine ensemble comment les aider Ă aller plus loin, Ă rĂ©aliser leur projet. Ce qui est le plus intĂ©ressant pour moi actuellement, en 13 ans de pratiques musicales, de belles rĂ©ussites et en mĂŞme temps d’attentes, de frustrations, c’est que j’ai appris Ă©normĂ©ment sur l’Ă©tat d’esprit dans lequel on est en paix ou pas avec soi-mĂŞme.Â
En fait ce qui m’intĂ©resse le plus dans la relation avec les groupes que j’accompagne, ce n’est pas tant de les emmener sur les plateformes de diffusion type Printemps de Bourges ou autre dispositif – et d’ailleurs s’ils y vont c’est gĂ©nial – mais moi ce qui m’anime, c’est davantage de les pousser Ă se questionner sur le pourquoi. Pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Pourquoi c’est important pour elles et eux. Qu’est-ce que ça veut dire pour elleux de faire carrière ? Ca me semble important d’échanger sur le fait qu’ il n’y a pas qu’un seul chemin dans la musique. Il n’y a pas que le fait d’en vivre et de faire ça H24 et d’avoir un succès immense qui marche en fait ! De leur ouvrir la possibilitĂ© de rĂ©flĂ©chir au fait qu’on peut avoir une carrière toute sa vie en faisant qu’un concert par an, ça reste une carrière quand mĂŞme et ça dĂ©pend de ce qu’on veut dans sa vie !
Lors de mes rendez-vous diagnostics avec les groupes, c’est assez rigolo, mais au dĂ©but de nos Ă©changes, une très grande majoritĂ© de musicien·nes m’affirment qu’ils et elles veulent devenir professionnel·les. Et plus on creuse ensemble sur ce que ça implique, sur leurs rĂ©elles envies, ils et elles reviennent un peu de cette vision d’un Ă©panouissement artistique qui ne serait que professionnel. Ça me plait beaucoup de dĂ©construire ces reprĂ©sentations qui peuvent aussi freiner des personnes dans leur pratique musicale. Il y a un petit cĂ´tĂ© psychologue finalement dans tout ça ! Et ce que je trouve hyper intĂ©ressant dans ces questionnements c’est qu’en se posant ces questions, on sort de cet esprit de compĂ©tition qu’il peut y avoir dans la musique. Je l’ai vĂ©cu de la part de groupes avec qui j’ai cheminĂ© dans mon Ă©cosystème musical. Je n’aime pas du tout ce genre de relation basĂ©e sur la concurrence, la compĂ©tition. MĂŞme dans le sport, je n’ai jamais adhĂ©rĂ© Ă cet Ă©tat d’esprit. Surtout que la rĂ©ussite des autres ne m’enlève rien, ça, c’est important pour moi !. Ce sont des choses que j’essaie aussi de partager dans les accompagnements. Et en fait, je rencontre beaucoup de groupes qui, au dĂ©part, sont plus dans cette optique-lĂ , de jalouser les autres, de se dire “pourquoi des choses bien ne m’arrivent pas”. J’essaie de rĂ©flĂ©chir avec eux sur leur vision des choses, de leur partager que si dès le dĂ©part ils sont dans la nĂ©gativitĂ©, ce sera plus difficile de percevoir ce qui se passe autour d’eux, de rĂ©ceptionner le positif. Cette posture-lĂ , ne permet pas de construire quelque chose d’Ă©panouissement, de constructif ! Ce sont ces valeurs que j’essaye de partager avec les groupes que j’accompagne. Sinon c’est tellement triste !
Les groupes ont vraiment tout Ă gagner Ă s’unir et Ă s’entraider, mĂŞme s’ils font des styles diffĂ©rents, ça ne pourra toujours que leur apporter !
Qu’est-ce qui te fait le plus vibrer dans ton quotidien professionnel ?
Le moment oĂą je suis la plus heureuse, c’est vraiment sur le terrain, quand je vais discuter rĂ©ellement avec les porteur·ses de projets et que ça commence Ă avancer, qu’ils ou elles me disent « j’ai rĂ©ussi Ă avoir ou faire ça et ça, ou ça c’est trop bien, ça m’a vraiment aidé !». J’aime bien construire des parcours avec eux, mais j’aime bien aussi voir qu’ils et elles se dĂ©tachent de moi et de mon expertise et qu’ils ou elles commencent Ă se dĂ©brouiller tout·es seul·es, ça c’est vraiment trop bien ! Et puis j’en recroise Ă droite, Ă gauche, et Ă la fin, ils ou elles me racontent un peu leurs aventures, ce qui s’est passĂ© pour elleux. Avoir ces retours-lĂ et voir que ces musicien·nes arrivent Ă voler de leurs propres ailes, ça, c’est gĂ©nial ! Pour moi c’est vraiment un truc de ouf !
Et j’imagine que tu as dĂ» constater, dans tes rĂ©seaux professionnels, tes formations pĂ©dagogiques, qu’il n’y a pas beaucoup de femmes, de personnes minorisĂ©es de genre, chargĂ©es d’accompagnement artistique dans les musiques actuelles.
Oui, c’est vrai.
Comment, le vis-tu ? Comment chemines-tu dans cet univers assez masculin finalement ?
Les autres chargé·es d’accompagnement du territoire sont majoritairement des hommes, mise Ă part Delphine Colnot qui est chargĂ©e de l’accompagnement et du soutien Ă la crĂ©ation Ă L’Autre Canal Ă Nancy. Je m’entends assez bien avec eux. C’est vrai qu’on n’a pas non plus tous les mĂŞmes manières de travailler. Je ne ressens pas de choses particulières vis-Ă -vis de ça. En fait, je ne me suis tout bonnement jamais posĂ© la question ! Ça m’a peut-ĂŞtre facilitĂ© le fait d’aller lĂ oĂą j’avais envie … ? Par contre, par rapport aux groupes, au dĂ©but de ma prise de poste, il a fallu que je fasse ma place, après une personne historique sur cette fonction et sur Epinal. C’était un homme, qui a beaucoup Ĺ“uvrĂ© auprès des groupes du territoire, il a fallu que je dĂ©passe des petites remarques, des rĂ©flexions qui sous-entendaient que je ne connaissais pas mon mĂ©tier.Â
Il y avait un peu ce truc de me juger, de douter de mes compĂ©tences surtout quand j’étais face Ă des groupes d’hommes d’un certain âge. C’Ă©tait le temps qu’on me connaisse ! Pendant peut-ĂŞtre une annĂ©e, on m’a vue un peu comme “la meuf qui Ă©tait aux studios”. Il a fallu que je fasse ma place, ça c’est sĂ»r.! Mais honnĂŞtement, j’ai eu aussi beaucoup de chance parce qu’à La Souris Verte, je n’ai pas rencontrĂ© trop de freins vis-Ă -vis de ça. Et on m’a beaucoup laissĂ© faire les choses Ă ma manière. On m’a laissĂ© dĂ©velopper vraiment ma façon de travailler et ma façon de voir l’accompagnement, qui n’est pas forcĂ©ment la mĂŞme que mes collègues d’autres structures. J’ai beaucoup apprĂ©ciĂ©.
Il y avait un peu ce truc de me juger, de douter de mes compĂ©tences surtout quand j’étais face Ă des groupes d’hommes d’un certain âge
Je sais qu’il y a des groupes fĂ©minins qui sont adressĂ©s Ă moi parce que je suis une femme et que ça les a rassurĂ© par rapport au fait de s’engager dans un accompagnement. Il y a aussi des groupes entièrement masculins qui sont venus me voir en me disant qu’ils aimaient travailler avec moi parce que j’avais une approche bienveillante, Ă l’écoute, en attention de leurs besoins spĂ©cifiques en termes d’accompagnement. Ce que j’essaie d’incarner, c’est qu’il n’y a pas de peur Ă avoir vis-Ă -vis de moi, vis-Ă -vis de l’accompagnement. Je ne veux surtout pas induire qu’il faut mĂ©riter d’être accompagné·e quand on est musicien ou musicienne. Cela doit ĂŞtre possible et accessible pour toute personne qui en a envie !
Quel conseil donnerais-tu à une jeune femme qui aimerait faire ton métier ?
Fais-le ! Sincèrement, c’est mon conseil. Prendre les conseils d’autres personnes, ça peut ĂŞtre bien, mais il faut faire son propre chemin. Après, j’ai l’impression d’enfoncer une porte ouverte quand je dis cela, mais je pense que ce mĂ©tier est accessible, qu’on soit musicien, musicienne ou pas ! Ce n’est pas le plus important ! Il faut surtout Ă©couter les personnes ! Le plus important pour moi dans ce mĂ©tier, c’est d’avoir une posture neutre. En fait, on n’est pas lĂ pour juger de la qualitĂ© artistique d’un projet en tant que tel si on peut appeler « qualité » le fait qu’un projet nous plaise ou pas. En fait ça n’a aucune importance ! Je conseillerai de garder cette posture-lĂ , de la neutralitĂ© vis-Ă -vis des projets, mĂŞme si on a toujours une appĂ©tence pour certains styles et certaines personnes avec qui on a plus de feeling, c’est normal ! Il ne faut pas hĂ©siter Ă se lancer. Et, si on se rend compte que ça ne nous plaĂ®t pas, on peut faire d’autres choses, ce n’est pas dramatique. Je conseillerai aussi d’être essentiellement sur le terrain et en contact avec les artistes avec qui on travaille. C’est important ! Je pense qu’on ne peut pas faire ce mĂ©tier si on ne connaĂ®t pas vraiment les personnes. Moi, en tout cas, je sais que je ne me verrais pas proposer un parcours d’accompagnement Ă un groupe sans les avoir rencontrĂ©, ni avoir vraiment pris le temps de discuter avec elleux. Je n’ai pas envie que ce soit service après-vente. J’ai besoin, Ă minima, d’avoir un rendez-vous avec la personne pour discuter et prendre toute la mesure de ses envies et lui proposer un accompagnement personnalisĂ© au plus juste de ses besoins.
Comment imagines-tu ton futur professionnel dans 5 ou 10 ans ?
Dans 5 ou 10 ans, je nourris personnellement l’espoir que ma casquette d’artiste soit un peu plus dĂ©veloppĂ©e et ne plus avoir forcĂ©ment Ă travailler dans une structure. NĂ©anmoins, je sais que tout ce qui va ĂŞtre coaching, accompagnement Ă la rĂ©pĂ©tition et aide Ă la stratĂ©gie de dĂ©veloppement de groupe, j’aimerais le garder ! En fait, aider les autres Ă rĂ©aliser leurs projets, c’est vraiment un truc qui me plaĂ®t ! Dans 5 Ă 10 ans, tout ça va dĂ©pendre de plein de choses, mais le fait d’ĂŞtre encore plus sur le terrain et de travailler vraiment davantage avec les groupes sur leur musique, intervenir un peu plus sur les aspects artistiques et stratĂ©giques ça me plairait Ă©normĂ©ment !
Merci Claire, et pour finir dans les groupes locaux que tu accompagnes que tu croises sur les plateaux, est-ce que tu as un ou des coups de cœur à nous faire découvrir ?
Les groupes que j’accompagne, je les soutiens tous !Â
A la Souris Verte, nous avons un dispositif d’accompagnement intensif, sur deux ans, qui s’appelle Echo !. Ces groupes-lĂ , j’ai Ă©tĂ© beaucoup plus en contact avec eux de manière rĂ©pĂ©tĂ©e depuis ma prise de fonction il y a trois ans. C’est sĂ»r que ces projets-lĂ m’ont peut-ĂŞtre un peu plus marquĂ©e parce qu’on a créé un rĂ©el lien sur ces deux annĂ©es ! Donc je vais tous les citer ! Il y avait SLS, c’est un groupe de rap des Vosges. La Petite Fosse, qui vient de Saint-DiĂ©-des-Vosges, ce sont les premiers que j’ai accompagnĂ©s. Et lĂ sur la nouvelle saison du dispositif, on accompagne The Maniax, qui m’impressionnent par leur motivation et ce qu’ils mettent en place ! C’est vraiment trop trop bien de les voir Ă©clore petit Ă petit et se poser des questions sur leurs projets. Et le dernier groupe que j’accompagne dans le cadre de ce dispositif s’appelle Anthemeza qui est un groupe mixte, blues jazz, c’est aussi très intĂ©ressant de travailler avec elleux !.Â
Et puis j’ai aussi envie de citer un groupe qui s’est formĂ© Ă la suite de la première Ă©dition des Flammes Sonores, notre music camp en mixitĂ© choisie, qui s’appelle Bagarces, qui a jouĂ© plusieurs fois Ă la Souris Verte, et c’Ă©tait très fort !Â
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