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Dispositif « Confiance » : tolérance zéro face aux discriminations à La Fabrik à Sons

Nov 6, 2025

Trop longtemps, les discriminations, les violences et les harcèlements ont été minimisés ou passés sous silence dans les espaces festifs et culturels. Avec le dispositif Confiance, La Fabrik à Sons affirme une position claire : tolérance zéro. Zéro violence, zéro sexisme, zéro racisme, zéro âgisme, zéro validisme … 

Ce projet, né en 2024, repose sur la conviction qu’il est possible — et nécessaire — de créer des lieux où chacun·e peut être soi, librement et sans crainte. Avec Morgane Olivier, coordinatrice de La Fabrik à Sons, nous revenons sur les engagements forts porté par Confiance et sur les actions mises en place pour transformer nos espaces communs et festifs, nous explorons les coulisses de ce dispositif et les valeurs qui l’animent.

Au cœur du pays de Caux, entre Le Havre et Rouen, La Fabrik à Sons fait vibrer la ville de Bolbec… et bien au-delà ! Créée en 2000, cette association est devenue un véritable lieu de vie et de création où se croisent concerts, résidences, actions culturelles, répétitions et accompagnement des artistes. Elle porte également le projet de la Sonothèque Normandie, projet dédié à la pa.matrimonialisation des musiques actuelles, la valorisation et la sauvegarde des œuvres discographiques régionales. Portée par des valeurs fortes d’ouverture, de diversité et d’inclusion, La Fabrik à Sons transforme chaque événement en un moment de rencontre, de découverte et d’ouverture. Ici, la musique rassemble, et la conviction est claire : la culture appartient à tou·tes.

 

Entretien avec Morgane Olivier

Comment est né le projet Confiance ? De quels besoins, constats et/ou envies de changer le monde ?

Morgane Olivier : Très clairement, le dispositif Confiance est né au fil de nombreux échanges. Il s’est construit autour d’une démarche participative, portée par l’équipe et le conseil d’administration de La Fabrik à Sons. Il a aussi été enrichi par l’énergie de personnes alors en alternance et en service civique au sein de l’association. Dès le départ, la volonté de s’inspirer des expériences existantes, d’élargir la réflexion au-delà des seules questions de genre, et d’aborder plus globalement toutes les discriminations, a permis de donner au protocole une dimension plus ambitieuse. Le réel point de départ a été la sensibilisation aux violences et harcèlement sexistes et sexuelles (VHSS), et l’obligation de se former pour les dirigeant·es et toutes les personnes au sein de la structure. Nous étions déjà quand même plutôt attentif·ves à ces questions au sein de l’équipe salariée – nous sommes 3 permanent·es à La Fabrik à Sons – tant par rapport aux artistes que nous programmons, que par rapport à la vie associative et la composition du conseil d’administration. Nous avions une réelle envie de tendre vraiment vers la parité à travers tous les axes de notre projet. En fait, la formation aux VHSS a été la première étape et l’ensemble de l’équipe s’est formée en 2023.

Nous avons ensuite souhaité mettre en place un protocole, définir les missions et les moyens d’un ou plusieurs référent·es VHSS, même si nous n’avions aucune obligation légale puisqu’on est une structure de moins de 11 salariés. Toutefois, il nous semblait vraiment important de le faire avec cette idée qu’en fait, si on voulait qu’il y ait plus de représentativité et d’égalité femmes-hommes, il fallait aussi qu’il y ait un travail de réalisé sur les VHSS. Et puis fin 2023, nous avons embauché une personne en alternance sur les questions de relations avec les publics autour de la médiation. Et j’ai proposé à cette personne, Orlann Duhamel, ainsi qu’à Romane Luco qui effectuait un service civique à La Fabrik, de se mettre en binôme pour travailler ces questions. Ça a été un oui franc, direct et massif de leur part !

Il se trouve qu’on a connu un cas de VHSS. Plus exactement, « nous n’avons pas connu », mais nous avons eu vent d’une agression sexuelle commise par un artiste que l’on avait programmé. Nous avons été confrontés très directement à plein de questions :  comment réagir, que faire concrètement ? Qu’a-t-on le droit de faire ou de ne pas faire s’il y a un dépôt de plainte par rapport à cette agression ? S’il n’y en a pas ? etc. On a fait appel à un service juridique, et finalement, nous avons décidé de déprogrammer cet artiste. 

Cette expérience nous a forcés à réfléchir à ce qu’on pouvait et devait faire. Elle nous a directement questionné.es sur nos moyens d’actions, ce que nous devions mettre en place pour pouvoir agir, si une telle situation se représentait, que ce soit au sein de l’équipe, avec le public, avec les artistes, etc. 

Cette dynamique autour des VHSS semble fédératrice et très partagée. Comment s’incarne-t-elle au sein de l’équipe et de l’association ?

Morgane : Oui, complètement. Et ça a été une première pour nous ! Il y a eu tout un travail de recherche fait par ces deux personnes, notamment par rapport à ce qui existait déjà. Nous sommes allé.es voir ce qui se faisait du côté de HF+ Bretagne, de Stourm,  dans les salles de musiques actuelles aussi, ce qui avait été mis en place… Et puis Orlann et Romane ont travaillé sur une première version du dispositif Confiance.

L’envie de réfléchir au-delà des discriminations de genre, a été d’emblée une évidence dans le fait de penser les discriminations dans la plus grande globalité possible

A la même époque, je faisais partie du dispositif de mentorat Wah! porté par la FEDELIMA et les différents ateliers vécus au sein de Wah! m’ont fait très vite me dire qu’il fallait d’emblée élargir nos réflexions et moyens d’actions, pas seulement aux VHSS et aux discriminations de genre, mais il fallait qu’on aille plus loin sur les discriminations en général. Et je suis assez contente d’avoir osé et affirmé cette ambition. Je pense que Confiance est très inspiré des protocoles VHSS, mais il y a l’envie d’aller plus loin, de parler d’emblée des discriminations. Il y a donc eu plusieurs relectures de la part de l’équipe, puis du bureau de l’association et puis de toi aussi, Stéphanie, puisque je t’ai demandé de relire ce protocole.

Petit retour en arrière, tu nous as partagé le oui franc de Romane et d’Orlann de s’emparer de ce travail. Comment l’as-tu perçu à ce moment-là ?  

Morgane : Je pense que c’est là très clairement générationnel. Ce sont deux personnes, de moins de 25 ans, dont une se revendique de la communauté LGBTQIA+. Iels portaient réellement cette envie, cette préoccupation d’affirmer ces valeurs, de réfléchir à comment rendre un lieu culturel plus ouvert, inclusif, proposer des pratiques festives moins discriminantes. Quand je leur ai proposé, je me doutais que ça leur plairait, iels étaient là depuis quelques mois et j’ai bien senti que c’était quelque chose qui les animait. Ça a été vraiment leur projet, leur travail et je suis hyper fière d’elleux.

Et en quoi le dispositif Confiance a fait bouger vos pratiques à La Fabrik à Sons ?

Morgane : Le dispositif Confiance est divisé en plusieurs parties. La première est une présentation un peu globale de ce qu’est ce protocole, comment nous l’avons fait naître et évoluer. Et à tout moment, on rappelle qu’il est évolutif, qu’il peut bouger, qu’il est mouvant, qu’on est prêt à écouter les critiques, qu’on veut tendre vers un lieu et un projet plus responsable, inclusif, mais que l’idéal n’est pas atteint et qu’il y aura toujours des choses qui vont se présenter. Donc oui, forcément, Confiance a fait et continue de faire bouger nos pratiques. Il se trouve qu’après une première version, nous avons vécu un cas de VHSS en interne. On s’est rendu compte très concrètement par exemple, que nous n’avions pas discuté, ni défini la partie sanctions. Donc à partir de cet exemple, se pose la question de ce qu’on met dans le protocole pour agir concrètement, pour l’assumer collectivement, ce qu’on ajoute dans notre règlement intérieur, comment on le partage au niveau associatif. Mais en tout cas, il y a encore des choses à améliorer !

Dans notre protocole on évoquait des sanction, mais on ne les avait pas définis. Et du coup, quand il a fallu appliquer une sanction, on s’est retrouvé démuni·es !

On a mis en place des référents et référentes sur les soirées, toujours mixtes, un homme, une femme, toujours quelqu’un membre de l’équipe et une personne des bénévoles de l’association. Nous avons fait appel au Fonds de développement pour la vie associative (FDVA) pour former les bénévoles. A chaque fois, pas à pas, on essaye de passer une étape supplémentaire. Je me suis formée en tant que référente VSS. Nous avons modifié notre communication, ajouté des clauses dans les contrats de cession, les feuilles de route… La prochaine étape, se situe à un autre niveau de partage et d’application du dispositif Confiance. La Fabrik à Sons occupe un bâtiment municipal, partagé avec d’autres structures. L’étape suivante serait que ce dispositif soit accepté et porté par toutes les structures présentes dans ce bâtiment. Par exemple, quand on organise un concert, dans l’espace mutualisé, à chaque fois, on met nos affiches, nos outils de sensibilisation et ensuite, on les enlève. Or, c’est un espace qui reçoit du public constamment, puisqu’il y a une MJC dans ce bâtiment. L’étape ultime serait en fait que la mairie accepte et porte ce protocole avec nous !

Nous avons acquis une forme de radicalité avec des potentiels agresseurs. Et c’est quelque chose qu’on a très fortement défendu en équipe avec le soutien du conseil d’administration  !

Avez-vous rencontré des freins dans l’écriture de ce protocole et son application ?

En fait, pas trop dans l’écriture, si ce n’est le besoin de temps pour s’extraire du quotidien pour se consacrer à ce type de démarche. Il y a eu aussi beaucoup de questionnements de comment faire en sorte que ça dépasse les VHSS ou les enjeux d’égalité femmes – hommes. Et sur ce point, je pense qu’il reste des choses à améliorer, mais la dynamique est enclenchée, on tend vers. La mise en application pose toujours des questions. Il y a toujours des interrogations : Qu’est-ce qu’on a le droit ou pas le droit de faire?  Comment peut-on aller jusqu’au bout de nos valeurs, comment fait-on ? C’est un sujet permanent, au long cours. Un exemple très concret, nous avons une réunion de bureau demain et ça va être le sujet. Actuellement nous accueillons une jeune-femme en service civique. Elle nous a partagé avoir subi agression sexuelle chez un de nos partenaires. Cela remonte à deux ans, donc elle n’était pas chez nous, mais la personne a continué à lui envoyer des textos et ça pendant qu’elle était en service civique à La Fabrik. J’ai donc demandé à cette personne d’arrêter tout contact. Mais au-delà de ça, comment nous, en tant qu’association, on peut réagir avec un partenaire ? Ce n’est pas une personne qu’on embauche ? Qu’on accueille ? Qu’a-t-on le droit de faire ? Cette jeune femme n’a pas porté plainte. Elle ne le souhaite pas. Cependant, elle m’autorise à en parler. Quand est-ce que tu arrives du côté de la diffamation ? Qu’est-ce que tu fais ? Et si tu ne le fais pas, tu n’es pas ok avec tes valeurs, tes principes d’action ! Autant de questions, de réflexions collectives que nous partageons au quotidien et dans la durée, en équipe, avec le conseil d’administration, les bénévoles de l’association !

Selon toi, quelles figures féminines ou non binaires pourraient faire écho soit au dispositif Confiance, ou encore à la dynamique qu’il y avait autour de son élaboration ?

Là très spontanément je pense à des artistes qui nous entourent ! A La Fabrik à Sons, nous programmons des artistes régionaux. Et je pense que les premières personnes à qui on a pensé en rédigeant ce protocole c’était à ces artistes.. Nous avions vraiment envie de leur montrer que La Fabrik, pouvait être un lieu sûr, dans lequel ielleux peuvent se sentir en sécurité, accueilli·es tel qu’iels sont ! Parce qu’on ne va pas se mentir, on est en milieu semi-rural. La visibilité n’est pas évidente pour les personnes non-binaires, trans, queer. Et je crois vraiment qu’avec mes collègues et la jeunesse qu’on accueille via les personnes en alternance, en service civique, on a réellement envie de transmettre ce message aux artistes du territoire. Parce que s’il y a des artistes sur scène qui représentent ces personnes, le public concerné pourra aussi s’identifier à ces artistes et ces personnes. De fait, cela concerne tout le monde !  Les artistes, mais aussi leurs équipes, le public, l’équipe, les bénévoles ! On a récemment accueilli une personne en service civique, Léa, qui nous a dit en milieu de son service, maintenant je m’appelle Max. Enfin voilà c’est cette possibilité, cette liberté-là qu’on recherche avec cet engagement collectif. Et c’est trop chouette parce qu’on apprend tous les jours auprès d’eux et d’elles. Je pense par exemple à des artistes comme Maddy Street, qui demande dans son rider de dessiner des licornes avec le drapeau LGBTQIA+. Et là, tu dis mais oui, pas de souci, trop bien !

Dispositif Confiance

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