What About Her ? – May-Cheng Ya
Merci à Arte ! C’est grâce à la rediffusion d’un concerto sur cette chaîne de télévision que May-Cheng Ya travaille aujourd’hui au plus près des musicien·nes ! Nourrie de cette envie de travailler dans la musique qui s’est forgée dès l’enfance, May a construit un parcours entre pratique et programmation musicale !
Et même s’il lui a fallu souvent contrer les parcours déterminés par d’autres, imaginer ou puiser de la ressources pour allier ces deux envies, May a su imaginer un chemin entre piano et MAO pour devenir aujourd’hui régisseuse studios et attachée à l’accompagnement des pratiques artistiques à la Vapeur, scène de musiques actuelles de Dijon.
La Vapeur vient de souffler ses 30 bougies ! Cette salle de concert historique de Dijon a ouvert ses portes en avril 1995 et depuis générations de Dijonnais·es, de Bourguignon·nes voire au-delà s’y sont retrouvés pour assister à un concert qui aura marqué leur vie, répéter dans un studio ou même sur scène, participer à un atelier, un projet d’action culturelle ou à une formation sur les musiques actuelles ou plus récemment, à partir de 2021, déjeuner à la Cantine de la Vapeur, les Cornichons !
« 30 ans et des principes toujours bien ancrés en faveur de la diversité artistique et culturelle, de l’égalité des genres, de l’accès à la culture pour le plus grand nombre, de l’accueil et l’accompagnement pour toutes et tous, de la coopération et la solidarité. »
Entretien avec
May-Cheng Ya
Qu’est-ce qui t’a donné l’envie de devenir régisseuse studio, d’accompagner des groupes de musique ?
May : Avant d’occuper ce poste, de devenir régisseuse studio, je ne connaissais pas forcément ce métier, cet intitulé, en quoi il consistait… Avant d’arriver à la Vapeur je travaillais dans une association axée sur la programmation en informatique musicale. Et après avoir passé un an au sein de cette association, j’ai décidé de revenir aux sources, comme on dit, dans la région Bourgogne-France-Comté ou je suis née. Et j’ai eu connaissance un peu par hasard de ce poste à la Vapeur. Je me suis dit qu’avec les compétences que j’avais développées, ça pouvait apporter quelque chose de différent sur cette fonction. Je me suis dit qu’il fallait tenter et j’ai décidé de postuler. Et je suis très contente aujourd’hui !
Quel parcours de formation as-tu suivi ?
A Dijon, à la fac, j’ai commencé une licence de musicologie. Au sein de ce cursus, on avait un module de MAO, Musique Assistée par Ordinateur. Ça m’a beaucoup intéressée et j’ai eu envie de creuser un peu plus loin ce module-là, surtout dans la conception que ça soit pour l’ergonomie d’un logiciel, la pratique, etc. J’ai trouvé une formation assez précise à Marne-la-Vallée, un master en informatique musicale. J’y ai appris un peu plus sur la programmation. J’ai commencé à développer des patchs en temps réel pour faire du traitement audio sur des instruments ou même sur de l’image, ce type de choses. C’était une formation où finalement, il y avait très peu de femmes. En dernière année, on devait être deux femmes parmi tous mes autres camarades de la fac.
Est-ce qu’enfant ou plus jeune, tu as eu un parcours de musicienne ?
La première relation que j’ai eue avec la musique, c’était par la télévision. J’étais toute petite. Il y avait un concerto qui passait à la télé sur Arte. Je me rappelle qu’à l’époque, on devait avoir sept chaînes ! Et j’étais vraiment scotchée par cette rediffusion. Tout me fascinait, en fait. Que ce soit les musicien·nes, l’ambiance, la salle, le public. Et c’est à ce moment-là où, toute petite déjà, je me suis dit, mais c’est en fait dans la musique que j’ai envie de travailler. Après, le temps a fait que ça s’est affiné. Et puis voilà, j’ai commencé la pratique du piano par l’intermédiaire d’un de mes professeurs de CM2 qui s’était rendu compte que j’étais très intéressée par la musique. Il y avait un vieux clavier qui traînait dans l’école et j’ai commencé à pianoter. Ce professeur m’a dit qu’il avait une fille qui donnait des cours de piano et de clavecin, et si ma mère était d’accord, je pourrais prendre des cours avec elle. Ça a commencé comme ça ! C’était assez incroyable, parce que je me rappelle, cette professeure-là, elle possédait une grande variété de claviers, elle détenait quasiment toute l’histoire du piano du clavecin à nos jours, clavecin, épithète, piano-forte, le piano qu’on connaît aujourd’hui… J’ai pu toucher un peu à tous ces instruments ! Et puis après, j’ai continué la pratique du piano. Et puis, j’ai connu la MAO, dans le cadre de mon parcours scolaire. Et c’est là où je me suis un peu dirigée vers la musique électronique !
J’ai commencé la pratique du piano par l’intermédiaire d’un de mes professeurs de CM2 qui s’était rendu compte que j’étais très intéressée par la musique.
Tu continues à créer et à jouer de la musique ?
Oui je continue. En dehors de mon temps de travail, j’essaie en tout cas de continuer à fond la programmation, de ne pas perdre cette pratique parce qu’en fait, programmer sur Max MSP, c’est comme un instrument : il faut aussi continuer à pratiquer, sinon on perd la rapidité et la dextérité d’entreprendre et donc j’essaie en tout cas de continuer à créer des petits synthés, des patchs avec lesquels on peut faire du traitement audio sur Ableton, ce types de choses-là, que j’aimerais aussi partager davantage au sein de la Vapeur.
Tu pratiques donc la musique enfant, puis adolescente, et après ton bac, tu t’orientes vers de la musicologie, c’est ça ?
En fac de musicologie, oui. C’est là où vraiment j’ai commencé à avoir un fort intérêt pour la musique électronique. Je me suis essayé à la création de synthés, en recyclant des câbles, des cartes électroniques encore fonctionnelles, mais que l’école n’utilisait plus. Et donc, je commençais déjà, avant même de rentrer en master à Paris, à bricoler de mon côté et à souder quelques petites bricoles.
La dimension informatique semble aussi importante aussi dans ton parcours, non ?
Oui, c’est sûr ! La musique informatique et tout ce qui est numérique m’intéressait et me stimulait énormément et m’intéresse toujours ! Je pouvais avoir cette double casquette de musicienne et de programmatrice musicale, même si je n’ai pas eu un parcours scientifique à la base. Quand les filières existaient encore au lycée, je ne suis pas forcément allée en S, filière scientifique, pour différentes raisons.
Dans le lycée dans lequel j’étais, on imposait quasiment le choix des filières aux élèves. On nous attribuait un profil plutôt scientifique, littéraire ou économique et social. Et moi, j’ai été classée dans les profils littéraires. Ça me posait un souci à l’époque parce qu’à ce moment-là, je savais déjà que je voulais travailler dans la musique, et que j’aurais besoin de bases techniques et scientifiques que le parcours littéraire n’apporterait pas nécessairement. C’est donc à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que je trouve d’autres moyens d’accéder à ces bases. Je suis allée voir d’autres personnes en dehors de mon cercle scolaire. J’avais des amis qui étaient en S, qui me partageaient leurs cours, ce qu’iel avaient appris. Je prenais des cours du soir avec d’autres professeurs qui voulaient bien me transmettre ces matières-là. Et puis, même si je n’avais pas forcément un profil scientifique, étant donné mon parcours scolaire initial, intégrer ce master m’a permis d’avoir, je pense, une validation de compétences techniques, en tout cas, dans la musique. Ça m’a aussi apporté d’autres bases plus poussées !
Nous devions réaliser un projet de fin intégrant de la programmation sur du traitement audio en temps réel. Mon idée c’était de mettre une caméra dans un ordinateur qui détectait les gestes d’une danseuse, une amie qui participait au projet, et en fonction de ses gestes, de ses mouvements captés par la caméra, cela changeait certains paramètres audios, que ce soient les gains, le volume, la synthèse granulaire, ce type de choses-là. Et toujours dans cette continuité d’intérêt pour la musique et la programmation musicale, j’ai ensuite intégré l’association Puce Muse, association pionnière en arts numériques et en création autour de la musique visuelle. Je participais à résoudre des problèmes qui parfois pouvaient faire bugger certains patchs. C’était très intéressant toute cette année au sein de Puce Muse ! On allait faire des ateliers dans différents lieux, dans des écoles. Et puis j’ai souhaité revenir en Bourgogne et j’ai postulé à la Vapeur !
En fait j’ai trouvé ça très étonnant quand je suis arrivée dans ce secteur, qu’il n’y ait pas plus de femmes, mais je n’en n’avais pas forcément conscience avant.
Si tu devais décrire ton métier à La Vapeur, à quelqu’un qui ne connaît pas forcément tous les rouages des lieux de musique actuels, comment lui présenterais-tu tes tâches, tes fonctions au quotidien ?
Au sein de La Vapeur, je suis à la fois sur la régie des studios, mais aussi sur l’accompagnement artistique. J’accompagne les musicien·nes dans le développement de leurs projets, leur structuration ; je les aide à mieux comprendre l’écosystème des musiques actuelles, quelle peut y être leur place, comment s’y insérer, etc. Avec l’équipe, je pilote des projets créations éphémères avec des artistes locaux pour des événements spéciaux. Nous réfléchissons à des ateliers pour les musicien·nes. En ce qui concerne la partie régie studio, pour moi elle est pleinement en lien avec l’accompagnement, puisqu’en fait, la première étape pour un·e musicien·e, un groupe ça va être aussi de répéter en studio ! Cette partie-là de mes fonctions est un peu plus technique. On aide les musicien·nes à s’installer, à se protéger des nuisances sonores liées à l’amplification. L’association de ces deux endroits de travail, l’accompagnement à la répétition et l’accompagnement artistique, me permet également de mieux connaître les groupes locaux, de voir comment ils répètent, de mieux les conseiller dans le développement de leur projet, je trouve ça pertinent ! Il y a aussi l’accompagnement des groupes locaux en résidence, que ce soit en studio ou sur scène. Il faut gérer bien sûr tout ce qui relève de l’organisation, des planning, mais également aussi de tous les besoins matériels. Il y a également la partie résidence dans le club ou dans la grande salle de la Vapeur. Dans ce cas-là, nous embauchons le plus souvent un ou une technicien·nes, mais ça peut arriver qu’on fasse nous-mêmes un accueil technique léger. Il faut alors s’organiser pour que la salle soit prête quand le groupe pousse les portes ! Si je devais choisir quelques mots pour présenter mon métier, je vois en tout cinq grandes parties : accompagnement, création, résidence, ateliers-programmations, et studios !
Qui sont les groupes qui répètent à la Vapeur en termes par exemple de styles esthétiques de répartition genrée, comment les observes-tu ?
A la Vapeur, nous utilisons le logiciel Quick Studio comme beaucoup d’autres lieux de musiques actuelles avec des studios. Ce logiciel permet, si nous le renseignons bien, d’avoir un suivi des esthétiques, des genres, des âges, etc., pour les groupes qui répètent dans nos studios. Ça nous sert aussi beaucoup pour les bilans de fin d’année, ça nous permet d’avoir une vision globale des musiciens et musiciennes qui répètent à la Vapeur. Après ça m’arrive souvent que des musiciennes viennent me voir pour justement discuter de comment moi je ressens le fait d’être isolée en tant que femme dans ces métiers-là. En fait j’ai trouvé ça très étonnant quand je suis arrivée dans ce secteur, mais je n’en avais pas forcément conscience avant.
Qu’est-ce qui te fait le plus vibrer dans ton métier ? Quand est-ce que tu te dis, ah oui, là, je suis à ma place ?
Ce qui est plaisant, c’est que je pense à beaucoup de moments ! Je me rappelle l’un des premiers accompagnements en résidence que j’ai mené en autonomie. A la Vapeur, nous organisons deux scènes chaque trimestre, « Les grands bains » et les « Support your local band ». Ces dispositifs favorisent le repérage de groupes locaux et les accompagnent, le plus souvent, à leur première scène. Et la première fois que j’ai réalisé un accompagnement scénique avec un groupe repéré par le dispositif des grands bains, et nous sommes arrivés au jour J du concert, on avait beaucoup travaillé avant et l’un des musiciens m’a dit : « je me sens en confiance, je sais qu’on a énormément bien travaillé, que ce soit dans le son ou que ce soient mes déplacements sur la scène, je sais que ça va bien se passer ! ». Et puis, en fait, il a trop kiffé d’être sur scène et ça l’a motivé encore plus pour développer son projet. À ce moment-là, je me suis dit, « quelle satisfaction totale de le voir aussi heureux, motivé, et de voir qu’en fait, j’ai accompli aussi ma mission. D’avoir apporté ma pierre à l’édifice de ce projet, j’aime bien cette expression car elle traduit vraiment ce que je ressens ! Ce type de petit moment de gratitude, ça ne dure pas longtemps, vraiment, mais ça suffit pour en fait continuer à faire en sorte que d’autres groupes soient aussi motivés à développer leurs projets et à se professionnaliser !
Dans ce milieu professionnel très masculin, il y a ce côté où « il faut absolument faire ses preuves
Quels conseils, donnerais-tu à une jeune femme qui voudrait se lancer dans la régie studio ou l’accompagnement artistique dans les musiques actuelles ?
D’être patiente, je pense, mais aussi de persévérer ! Les premières semaines où je suis arrivée à la Vapeur, j’étais en observation pendant les rendez-vous conseils, les répétitions accompagnées que nous faisons avec les groupes ou pour régler les volumes sonores dans les studios, etc. Et en fait, comme j’étais, soit avec mon autre collègue, soit avec mon responsable, il y avait des musiciens, majoritairement dans une tranche d’âge entre 40 et 50 ans, qui me disaient « Ah, vous êtes la nouvelle stagiaire ! ». Et à chaque fois, je devais préciser que je faisais partie de l’équipe. C’est pour ça que je dis d’être patiente et de persévérer parce qu’en fait, il y aura beaucoup d’occasions où la jeune salariée pourra avoir l’occasion de montrer qu’en fait, comme n’importe lequel de ses collègues, elle a aussi des compétences et des qualités, des capacités, mais il ne faut pas se décourager ! Il faut vraiment persévérer, c’est important. Et aussi et surtout, ne pas hésiter à demander de l’aide ! Dans ce milieu professionnel très masculin, il y a ce côté où « il faut absolument faire ses preuves ». Je ne sais pas si c’est ancré parmi nous toutes, mais en tout cas, il y a un sous-entendu qui nous pousse à croire qu’ il ne faut pas qu’on montre un quelconque signe de « on ne sait pas faire ». A contrario, il ne faut pas craindre de demander de l’aide, je pense, parce que personne ne sait tout, et qu’en fait, c’est un grand courage de demander de l’aide aussi !
Tu as pris tes fonctions à la Vapeur, il y un an et demi, c’est encore tout récent, mais comment imagines-tu ton futur professionnel dans quelques années ?
Alors, pour l’instant, je profite un peu de cette phase de découverte professionnelle parce que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre aussi des autres. Et comme je le disais, c’est ma première expérience professionnelle dans une structure. J’ai encore beaucoup de choses à voir et à expérimenter. Mais je sais déjà aussi qu’en dehors de mes fonctions à la Vapeur j’ai envie de développer des projets plus artistiques et plus personnels. Et dans quelques années, j’espère avoir assez confiance en moi pour me dire que je suis prête à me consacrer au développement de ces projets-là. J’aurais envie d’une aventure professionnelle qui puisse croiser mon artistique, c’est clair !
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